LES POISSONS D’AVRIL DU JOURNAL TINTIN (1948)

Nous sommes début mars 1948, Gérard Liger-Belair (le maquettiste attitré de Hergé qui au sein du Journal Tintin était responsable des rubriques consacrées à la marine, à l’aviation et au bricolage -les plus anciens d’entre-vous se souviennent probablement des « Entretiens du capitaine Haddock » des « Propos du major Wings » et de « Trucs et ficelles »-  est convoqué au journal par le directeur, Raymond Leblanc et le rédacteur en chef Hergé.

Laissons-lui la parole :

…J’ai eu l’idée, lui dit Hergé, d’un énorme poisson d’avril à l’intention des lecteurs. Mais pour le réaliser, il nous faut ton aide, si tu es d’accord…

Mis au courant du projet, j’acceptai avec enthousiasme et me préparai sur le champ. C’est ainsi que la veille du 1er avril, les lecteurs purent lire dans leur Tintin l’annonce suivante :

Mais, dans l’après-midi, l’équipe rédactionnelle eut, elle aussi, sa surprise… Raymond Leblanc avait reçu un coup de téléphone du professeur Cosyns qui était furieux que nous utilisions son nom et celui du Professeur Piccard sans leur autorisation et cela pour tourner leur futur exploit en ridicule. Il allait en référer à son associé et il nous ferait savoir quelle suite fâcheuse serait réservée à notre plaisanterie… Leblanc était vraiment très contrarié, mais il était trop tard pour reculer.

J’avais construit une maquette humoristique du « bathyscaphe », avec une balle de caoutchouc en guise de nacelle étanche, suspendue sous une boîte de lait condensé pour représenter le ballon gonflé à l’essence. Deux hélices latérales figuraient le moyen de propulsion. C’était assez ressemblant. Je plaçais le tout dans un joli coffret pour le transport et la présentation

Le jeudi 1er avril, peu avant 15 heures, l’équipe au complet était réunie au Bois de la Cambre, près du lac, Raymond Leblanc guettait avec la plus grande inquiétude l’arrivée éventuelle du Professeur Cosyns ou de son représentant… Petit à petit, le bois s’anima. De petits groupes, composés en majorité d’adultes, se tenaient à distance en attendant la suite des événements. À 15 heures, il y avait près d’une centaine de personnes autour de moi, je sortis le « bathyscaphe » de son coffret et pris la parole :

Chers lecteurs de Tintin, le Professeur Cosyns, empêché au dernier moment de venir en personne avec son bathyscaphe, m’a chargé de le remplacer pour vous parler de sa future expérience. Je fis alors, pendant un bon quart d’heure, un exposé très scientifique sur le sujet. Et puis, pour couronner ma causerie, j’immergeai le « bathyscaphe » dans l’eau du lac, sous les rires et les applaudissements du public, qui alors se dispersa.

Cosyns n’ayant pas donné signe de vie (au grand soulagement de notre éditeur), Hergé proposa d’aller boire le champagne au restaurant de l’ile. On trinqua, en commentant la réussite du poisson d’avril. C’est alors que Hergé demanda à Raymond Leblanc :

Hergé : Mais enfin, Leblanc, quelles étaient les paroles exactes du Professeur Cosyns au téléphone?

Leblanc : Euh! C’est difficile à répéter….

Hergé : Et bien je vais vous les dire…

Et Hergé cita mot à mot la conversation téléphonique, au grand ébahissement de tous.

Leblanc : Comment, Hergé, au téléphone, c’était vous???

Hergé : Eh oui… C’était ça mon véritable poisson d’avril !

QUI ÉTAIT LE PROFESSEUR COSYNS

Ancien déporté de Dachau pour cause de résistance, Max Georges Émile Cosyns est né à Schaerbeek le 29 mai 1906, il est décédé à Bruxelles le 30 mars 1998. Ce fut un physicien belge qui a notamment collaboré avec le professeur Piccard, l’inventeur du bathyscaphe. Spéléologue, c’est aussi lui qui a découvert le fameux gouffre de la Pierre-Saint-Martin. Il avait une propriété en France à Licq-Atherey dans les Pyrénées-Atlantiques.

Max Cosyns dans le bathyscaphe du Professeur Piccard

MAX COSYNS : TORTIONNAIRE LUBRIQUE OU CHERCHEUR ILLUMINÉ ?

Au printemps 1991, alors que Max Cosyns a 85 ans, les policiers parisiens de l’Office Central chargés de la répression du trafic d’êtres humains reçoivent un curieux renseignement anonyme. Selon cette source bien informée, une clientèle belge et britannique se rend, depuis plusieurs mois, au Pays Basque et plus précisément en Soule, dans le petit village de Licq-Atherey.

Le petit village de Licq-Atherey.

Recrutés par petites annonces, ces hommes et femmes, tous adultes, viendraient y subir, de leur plein gré, des expérimentations scientifiques sur des sujets vivants. Au cœur de cette mystérieuse affaire, il y a un homme : Max Cosyns. Depuis peu, il aurait transformé sa demeure en une mystérieuse « clinique ». Son objet ? Mener des recherches scientifiques sur des hormones secrétées par le cerveau.

La police découvre dans une annexe de sa propriété un attirail peu commun : poulies, chaînes, fouets, appareils de contention, tables de chirurgie, photos de brûlures et d’incisions. Un matériel que les enquêteurs soupçonnent avoir été utilisé pour des pratiques sado-masochistes. De son côté, le professeur Cosyns, a toujours soutenu qu’il utilisait cette annexe pour développer un centre de recherche sur les réflexes corticaux (CRRC). Il aurait affirmé aux enquêteurs avoir découvert de nouvelles hormones secrétées par le cerveau qui inverserait les réflexes à tel point que la douleur deviendrait plaisir.

Après 48h de garde à vue, ses explications fumeuses n’ont convaincu personne.  Max Cosyns est mis en examen par le juge Jean-Louis Lecue. Motif : violences volontaires avec armes et exercice illégal de la médecine. L’affaire fait l’effet d’une bombe. L’Agence France-Presse relaie l’information qui fait la Une des quotidiens nationaux. Max Cosyns ressort libre sous contrôle judiciaire. L’ex-physicien Belge retourne dans ses montagnes. A Pau, le juge d’instruction doit répondre à une question : Cosyns serait-il un grand malade ou un « grand cerveau » pour qui la science compte davantage que la loi ? La justice va mettre 3 ans pour répondre à cette question.

Pour en savoir plus, cliquez sur l’image ci-dessous

Cliquez au milieu de l’image pour connaître la suite

Podcast France Bleu – Au nom de la science : la clinique de l’horreur (Max Cosyns) Par Thierry Sagardoytho

Partagez si ça vous a intéressé
  • 162
  •  
  •  
  •  
  •  
    162
    Partages
  • 162
    Partages

Un commentaire


  1. Merci,Jean-Luc,pour cet excellent rappel…dont le Doyen de la Faculté de Tintinologie…ne se souvenait plus !!

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.