LES PAGES DE GARDE BLEU MARINE : TESTEZ-VOUS !

LA BELLE (ET DRÔLE) HISTOIRE DES CULTISSIMES PAGES DE GARDE BLEU MARINE

Imprimée sur un fond bleu foncé resté à jamais gravé dans la mémoire des lecteurs de l’époque, cette double page est une invitation au voyage extraordinaire. Chacun de vous les reconnait ces petites illustrations, dessinées en blanc sur un fond bleu uni, qui agrémentaient le début et la fin de tous les albums de Tintin (parus de 1937 à 1958). On y voit Tintin et Milou dans des situations particulières qui évoquent leurs différentes aventures. L’idée, magnifique, d’orner les pages de garde des albums d’un ensemble de vignettes représentant Tintin ne vient pas de Hergé mais d’une initiative de l’éditeur.

Charles Lesne

 
Tout commence par un courrier que Charles Lesnes, son interlocuteur chez Casterman envoie à Hergé le 23 juillet 1937 :

« … Nous voudrions améliorer la présentation de la garde des couvertures. Il nous semble, à Monsieur Louis Casterman et à moi-même, que l’impression ton sur ton, d’un cliché représentant, en une succession de dessins, les scènes les plus typiques des différents TINTIN(S) (sic !) serait une bonne chose… »

Trois jours plus tard, Hergé répondit qu’il trouvait l’idée « vraiment excellente », mais qu’il partait d’abord… en vacances !

L’absence d’Hergé se prolongea malgré un discret rappel de Lesne à ce sujet fin août. Un mois plus tard, la patience du Directeur d’édition sembla à bout si on en juge par le nouveau courrier adressé à Hergé :

« …Cette fois je viens te tirer les oreilles ! Ou bien tu te f… de moi, ou bien tu as juré de me faire perdre mes derniers cheveux. Dans un cas comme dans l’autre, tu es un grand pendard ! »

En effet, le travail n’a toujours pas avancé d’un pouce ! …. Ce qui n’empêche absolument pas Hergé de repartir le 1er septembre à la mer car Germaine est surmenée. À son retour, Lesne s’impatiente encore : 

« …Je te rappelle que je t’avais demandé une grande planche composée de multiples dessins Tintin pour l’impression des feuilles de garde des albums. Est-ce oui ou non ?… »

Hergé y travaille enfin le 29 septembre :

« …Je travaille en ce moment à la « garde » des Tintin…
Le dessin que je fais représente un savant désordre de petits Tintin de petits Milou, pris parmi les albums parus et à paraître… ».

Mais Hergé, toujours « pointilleux » demande à Charles Lesne comment il doit s’y prendre pour que l’impression des doubles feuilles se fasse correctement. Et dès le lendemain le Responsable d’Édition de chez Casterman lui donne les indications suivantes :

« Pour la garde des Tintin, il faut un seul grand dessin couvrant la superficie de 2 pages d’album. Il le faut même un peu plus grand que la surface de la couverture ouverte, afin de pouvoir rogner les gardes à l’aise… »

Hergé finit par envoyer son dessin le 4 octobre à Casterman en demandant :

« … J’aimerais beaucoup voir cela en négatif, comme pour la garde d’Astrid. Cela serait plus amusant, me semble-t-il. Je joins un petit croquis (quel beau bleu, hein ?) … »

Hergé a donc répondu à cette commande en créant de façon originale une anthologie de différents épisodes ou d’actions particulières évoquant chacun des albums parus à cette date depuis Tintin au pays des Soviets en 1930 jusqu’à L’oreille cassée de 1937. Les Dupondt en costume chinois sont présents, mais pas le capitaine Haddock. Ces vignettes illustrent des actions ou des épisodes marquants des aventures de Tintin : dans un pousse-pousse, en pirogue en voiture de course, en avion, en automitrailleuse, à cheval, dans différents costumes, de cow-boy, d’Hindou, de Chinois, de militaire, en armure et dans toutes sortes d’attitudes, marchant, courant, ramant, sur le dos d’un buffle, plongeant, sortant de l’eau avec Tchang. 
Chacune de ces images contient en elle-même une histoire. Les dessins remplissent cette double page comme s’il s’agissait de motifs décoratifs ou abstraits, mais il ne s’agit pas d’une addition de vignettes mises côte à côte. La double page est composée par rapport à un axe central, qui correspond à la pliure, chaque page étant ensuite arrangée de sorte qu’il n’y ait pas de motif. Une magistrale leçon de composition.
Les fameuses pages de garde bleu foncé parurent pour la toute première fois fin octobre 1937. Ce n’est que 20 ans et 12 titres plus tard, en 1958 que Hergé dessinera de nouvelles pages de gardes sur fond bleu clair avec une série de portraits.

Il s’agit ci-dessus du dessin original de 1937 sur une grande feuille de 35 x 53 cm réalisé par Hergé, qui a paru dans l’album L’oreille cassée et dans la première réédition de Tintin au Congo en 1937 ; il a été conservé jusqu’en 1958. On retiendra ici la magnifique leçon de dessin, uniquement au trait, sans modelé, sans hachure, sans ombre, qui caractérise l’art d’Hergé et qu’on a qualifié de « ligne claire ». Son style apparaît d’autant mieux qu’il est ici en négatif, traits blancs sur fond sombre, à l’identique des « bleus » d’architecte. Les dessins remplissent cette double page comme s’il s’agissait de motifs décoratifs ou abstraits, mais il ne s’agit pas d’une addition de vignettes mises côte à côte. La double page est composée par rapport à un axe central, qui correspond à la pliure, chaque page étant ensuite arrangée de sorte qu’il n’y ait pas de motif privilégié : ni centre ni bords extérieurs, mais chaque sujet est placé par rapport à ses voisins pour entretenir une correspondance plastique et de telle sorte que les directions soient prises en compte. On part toujours de l’extérieur pour se diriger vers l’intérieur et chaque angle est occupé par un personnage qui se dirige ou regarde vers l’intérieur, par exemple le cavalier en haut à gauche de la page de gauche, Tintin et Tchang en bas à droite de la page de droite. Une magistrale leçon de composition.

Cette illustration a été vendue le 24 mai 2014 pour 2,65 millions d’euros ! Deux millions six cent cinquante mille euros, vous avez bien lu !

Et vous, chers fidèles amis Tintinophiles, sauriez vous dire de quels albums proviennent ces trente-quatre images ?

Oui ? Non ? Alors voici les solutions :

Tintin en Amérique – Les cigares du pharaon – Le Lotus bleu – Les cigares du pharaon – Tintin au Congo – L’oreille cassée – Tintin en Amérique – Le Lotus bleu

L’oreille cassée – Tintin au Congo – Les cigares du pharaon – L’oreille cassée – Tintin au Congo –  Les cigares du pharaon – L’oreille cassée – Le Lotus bleu

Tintin en Amérique – Les cigares du pharaon – L’oreille cassée – Le Lotus bleu – Les cigares du pharaon

Tintin au pays des Soviets – L’oreille cassée – Tintin au Congo –  Les cigares du pharaon – Tintin en Amérique

L’oreille cassée – Le Lotus bleu – Tintin en Amérique – Le Lotus bleu – L’oreille cassée –  Les cigares du pharaon – Le Lotus bleu

Sans oublier cette superbe illustration de notre ami Yves Rodier qui nous offre ici sa propre vision des pages de garde 

L’illustration des pages de garde de Yves Rodier a été « empruntée » à l’ami Benoit Chouinard qui l’avait posté sur la page de Passion Tintin Québec

Les images extraites de l’œuvre de Hergé sont la propriété exclusive de MOULINSART SA. © Hergé-Moulinsart 2019.
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4 commentaires


  1. Sur l’image 4, on voit Tintin Milou vêtus comme des esquimaux. Je pense que c’est issu de l’aventure abandonnée « Tintin dans le grand nord »… Mais, peut-être me trompe-je ?

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  2. j’ai découvert la planche d’Yves Rodier, qui est d’un dynamisme saisissant !

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