LES HOMMES POLITIQUES SONT AUSSI DES TINTINOPHILES

C’était il y a bien longtemps… En 1999, à l’initiative de Dominique Bussereau, ex-ministre, président du Club des Parlementaires tintinophiles, un débat historique, animé par Thomas Sertillanges, s’est déroulé dans la prestigieuse enceinte de l’Assemblée nationale sur une question que se posent tous les Tintinophiles de 7 à 77 ans concernant les opinions politiques de Tintin  : est -il de droite ou de gauche ?

Quatre éminents parlementaires :

  • Jean-Marie Bockel, député du Haut-Rhin
  • Yann Galut, député du Cher
  • Didier Quentin, député de Charente-Maritime
  • André Santini, député des Hauts-de-Seine

qui souhaitaient ainsi honorer les 70 ans du reporter du Petit Vingtième ont débattu avec humour et talent autour de ce thème volontairement provocateur, mais tellement rafraîchissant, démontrant ainsi qu’ils savaient aussi manifester un certain recul vis-à-vis du conformisme et de la pensée unique comportementale. Ce compte-rendu analytique des débats, comme l’on dit à l’Assemblée Nationale, a été complété par les contributions d’Hélène Carrère d’Encausse, d’Alain Peyrefitte, de Pierre Daix et d’Alain Duhamel. 

Avant d’entrer au gouvernement, Dominique Bussereau avait eu la lourde responsabilité de fonder, en 1995, le club des parlementaires tintinophiles, qu’il présidait. Depuis, ils ont bu du Loch Lomond, visité des expositions sur Tintin, organisé une visite à Moulinsart (Cheverny, Loir-et-Cher).

POUR LIRE LE COMPTE RENDU EN PDF : CLIQUEZ SUR LA COUVERTURE CI-DESSOUS

 

UN DÉBAT ANIMÉ

Le 3 février 1999, un débat de haute importance eut lieu à l’Assemblée nationale, sous la présidence de Dominique Bussereau. Le thème choisi : « Tintin est-il de droite ou de gauche ? » L’ambassadeur de Belgique à Paris s’était déplacé, et avec lui le gratin de la tintinocratie (tintinologues, représentants de la société Moulinsart, de la Fondation Hergé, des Amis d’Hergé, etc.). « On s’était dit qu’avec un peu de bol, on aurait tout juste un journaliste de l’Agence France-Presse de permanence à l’Assemblée, se souvient M. Bussereau. Or ça a été la folie. Soixante députés, plus de 80 journalistes dont une trentaine de télévisions, allemandes, américaines, australiennes, néozélandaises… on a dû changer trois fois de salle !« 

L’audience fut agitée. Pas question, ici, de voir en Tintin un héros christique. Les députés sont formels : leur Tintin est politique, et si possible de leur bord. Tintin est centriste, avait précisé, avec un sens aigu de la nuance, le député (UDF) des Hauts-de-Seine, André Santini. Yann Galut (PS, Cher) annonçait de son côté que le reporter serait le prochain candidat de la gauche plurielle. Jean-Marie Bockel (PS, Haut-Rhin) voyait en lui un « social-démocrate ». Didier Quentin (RPR, Charente-Maritime) assurait qu’il était gaulliste – « je dirais même plus : gaullien ». Dominique Bussereau, lui, se contentait de jouer le Monsieur Loyal.

La gauche, contrainte de batailler ferme pour récupérer un héros aux origines traditionalistes, revendiqua ses combats contre les puissants, aux côtés des faibles et des opprimés. « Un reporter issu de la droite conservatrice, transformé en une espèce de Che Guevara, défenseur de la révolution permanente« , dit Jean-Marie Bockel.

La séance fut un florilège de formules. Le centriste André Santini, expert en la matière : « Tintin fait preuve d’une retenue et d’un détachement qui en font incontestablement un gentleman centriste » ; « S’il était de gauche, il distribuerait des sacs de riz au Congo devant des caméras subjuguées » ; « Ça n’est pas à la roche de Solutré qu’il s’attaque…, c’est à l’Himalaya ! » ; « Il ne promet pas la lune, il y va !« 

Au gouvernement, il y a un temps pour les colles en Tintinophilie. C’est le mercredi matin, juste avant le conseil des ministres, dans ce court instant où l’on attend le président de la République et le premier ministre. Bussereau avoue avoir été ainsi « coincé » par son collègue à l’éducation, Luc Ferry. Celui-ci lui a un jour demandé : dans Les 7 Boules de cristal, quand Tintin et Haddock sont au music-hall, quel est le nom du savant dont la femme se lève parce qu’on lui annonce que son mari vient de tomber gravement malade ? « Là, il m’a bluffé, concède Dominique Bussereau. Maintenant, est-ce qu’il avait juste appris ce truc-là pour me coller ? Peut-être.« 

L’ex secrétaire d’État aux transports affirme relire chaque semaine un ou deux albums avant de s’endormir. Pour ses cinquante ans, son ami Jean-Pierre Raffarin lui a offert Le Lotus bleu dans une édition de 1952, l’année de sa naissance. Il possède quelques albums en tibétain ou en basque, mais n’est pas collectionneur. Ni incollable, il l’a déjà dit.

Au club des parlementaires tintinophiles, André Santini peut en dire autant. Un souvenir honteux lui colle à la peau, nous confesse-t-il : il ne s’en est toujours pas remis. C’était à la télévision, il participait au jeu « Questions pour un champion ». « Je suis tombé sur la question : « Quel métier faisait Séraphin Lampion ? » Et j’ai perdu la finale du jeu là-dessus. Il était assureur, je le savais pourtant par cœur. J’étais fou furieux.« 

Ceux que les parlementaires tintinophiles redoutent le plus, ce sont les Tintinophiles du Palais. Une association hautement réputée d’une cinquantaine de membres, émanant du Palais de justice de Paris sans s’y restreindre : majoritairement avocats, magistrats, notaires, avoués, juristes en tout genre. Des fous de la mémoire. Catégorie tintinolâtres ou tintinopathes, « Les Tintinophiles du Palais, confirme Dominique Bussereau, ce sont des très, très bons. Ils nous avaient proposé de nous opposer à eux dans un tournoi de questions sur Tintin : ceux qui font la loi contre ceux qui l’appliquent, ça ne manquait pas de piquant. Je me suis dit qu’on allait se faire rétamer. J’ai refusé, ç’aurait été la honte. »

Le président de ces très redoutables Tintinophiles du Palais est Maître Christian Charrière-Bournazel, avocat à la cour, vieille France et nœud papillon de rigueur. Il vient nous chercher d’un air important : lui aussi nous a calé un rendez-vous en urgence, toutes affaires cessantes. Il l’avoue modestement : « C’est vrai qu’on est assez bons. » Et confirme son intention de créer la Coupe Haddock des tintinophiles, un tournoi calqué sur les règles du tennis où les deux joueurs serviraient à tour de rôle en posant une question. Un album par jeu, l’arbitre vérifiant chacune des réponses. « Hélas, les parlementaires tintinophiles ont décliné notre invitation« , regrette-t-il avec un sourire de vainqueur. Les deux associations sont tout de même allées ensemble à Moulinsart et ont en commun le goût du Loch Lomond. Les Tintinophiles du Palais prévoient aussi la tenue d’un grand procès d’assises par contumace, à la première chambre de la cour. Accusé : Rastapopoulos.

Parfois, Me Charrière-Bournazel a un doute – « C’est le problème : il faudrait pouvoir relire plus souvent. » Un petit doute de rien du tout : l’orthographe des Dupondt, au pluriel. Pas de panique : « Je vais demander à mon Nestor. » Le standard de son cabinet est branché sur la ligne d’un certain Nestor, agent immobilier à ses heures perdues, mais avant tout secrétaire et promoteur de l’association. C’est lui qui prépare les quiz, une série de questions archi-pointues, avec trois réponses possibles, posées avant les dîners rituels de l’association. L’avocat décroche donc son téléphone : « Appelez-moi Nestor, s’il vous plaît. » Puis : « Allô Nestor ? Dis-moi, mon petit Nestor, les Dupondt, c’est bien « dt, sans tiret » ? Bien, bien, on est d’accord. Merci mon petit Nestor.« Il raccroche. « Les questions de Nestor sont terribles. On n’en est plus aux prénoms des frères Loiseau. Par exemple : quel est le deuxième prénom du chauffeur italien qui prend Tintin et Haddock en autostop dans L’Affaire Tournesol ? (Le chauffeur s’appelle Arturo Benedetto Giovanni Giuseppe Pietro Archangelo Cartoffoli de Milano). Prenons-en une plus simple : le navire sur lequel Haddock va rechercher l’aérolithe, est-ce le Sirius, l’Aurore, le Karaboudjan ? Ah ah !« 

Cliquez sur l’image pour visionner le reportage

LES POLITIQUES… MAIS PAS QU’EUX !

Tintin religieux ? Tintin juriste ? Tintin politique ? De droite ou de gauche ? Les Dupondt ne savent plus comment s’habiller. Avec un nœud papillon et une robe d’avocat, ils arrivent au Théâtre Edouard-VII, où répète Pierre Arditi. Lui serait plutôt du genre tintinomane , à collectionner « avec tout ce que ça comporte d’hystérie« des objets, des éditions originales « très très rares » et des planches dont le prix dépasse l’entendement (il a fini par s’en débarrasser). Il avait découvert Tintin en ayant les oreillons. Sa mère lui avait offert L’Oreille cassée, et il n’a plus jamais guéri. « Tintin, c’est un puits sans fonds. Un demi-siècle que je le relis », reconnaît-il, presque désolé, dans un canapé de cuir du hall de l’Edouard-VII. Le Tintin biblique le laisse sans voix. Le politique ? « Je m’en fous. » A son tour, il est formel : son Tintin à lui « est un héros théâtral » : « Nous sommes tous des Tintin, il est ce qu’on en fait. Niais, mûr, enfantin, chevaleresque, trop moraliste, il est une coquille où on met ce qu’on veut. Une machine à rêver. Il empêche d’oublier qu’on est un enfant : or ça, c’est mon métier. »

A l’Académie française, on ne plaisante pas avec Tintin. Le philosophe Michel Serres ne passe jamais à droite des chörtens (monuments-reliquaires) quand il se promène dans l’Himalaya. S’il pleut, il sort de son abri en disant : « Nous pouvons sortir, Mirza, il ne pleut plus. » Tintinologue de référence, il est devenu pendant vingt ans le meilleur ami d’Hergé après avoir écrit un article (repris dans son œuvre Hermès) sur Les Bijoux de la Castafiore, « chef-d’œuvre de l’étude sur les ruptures de la communication moderne » : on téléphone au château pour demander la boucherie Sanzot, la télévision est brouillée, les gens ne s’entendent pas, la Castafiore appelle Haddock « Kappock » ou « Kodak » et casse les oreilles de tout le monde. Le confrère de Michel Serres à l’Académie, Erik Orsenna, jure ne jamais faire face à une mauvaise situation sans commenter tout haut : « Nous voilà bien, mon vieux Milou. » Et assure que sur l’île déserte ce sont les Tintin qu’il emporterait. « J’ai une dette vis-à-vis de lui. Il m’a appris à raconter des histoires. »

Les Dupondt, un peu fatigués, sonnent en habit vert à la porte de Serge Tisseron, psychanalyste. Une longue silhouette austère vient ouvrir. On s’assied face à lui, à côté du divan, non sans quelque inquiétude. M. Tisseron a déjà psychanalysé Tintin (Tintin chez le psychanalyste, Aubier). Au départ, le constat de quelques bizarreries. Bizarre, donc, que les Dupondt, jumeaux parfaits, ne portent pas le même nom (l’un avec un « d », l’autre avec un « t ») ; que Tintin, héros sans famille, n’ait pas de patronyme ; que le chevalier de Hadoque, voulant transmettre un trésor à ses descendants, fasse tout pour leur brouiller les pistes ; que le même chevalier de Hadoque, ayant reçu le château de Moulinsart des mains de Louis XIV, puisse être un bâtard du Roi-Soleil… Autant de questions fondamentales dont Tisseron a tiré une hypothèse audacieuse sur un secret de famille d’Hergé. Les tintinologues crièrent au délire. Et quelques années plus tard, à la stupéfaction générale, l’hypothèse fut confirmée par les biographes. Une lourde histoire de bâtardise : le père d’Hergé et son jumeau (les Dupondt) étaient des fils naturels d’ascendance illustre et furent élevés par une comtesse qui les habillait d’accoutrements ridicules. Et là, Tisseron ne s’arrête plus. La Licorne et les Bijoux deviennent grisants de cohérence, révélant tout d’une famille aux secrets enfouis tel le trésor dans la crypte de Moulinsart.

 

Partagez si ça vous a intéressé
  • 68
  •  
  •  
  •  
  •  
    68
    Partages
  • 68
    Partages

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.