HERGÉ, C’EST AUSSI QUICK ET FLUPKE.

 

Quick, le plus grand, avec le béret vissé sur le crâne, apparaît pour la première fois sur la couverture du Petit Vingtième le 23 janvier 1930 et ses lecteurs découvrent la même semaine son premier gag. Gamin vif et alerte, le personnage de Quick serait un clin d’œil d’Hergé à son collègue Paul Werrie, responsable de la rubrique sportive du quotidien Le Vingtième Siècle. Un homme toujours en mouvement…

Rapidement, Quick a besoin d’un faire-valoir.

Ce sera Flupke, le « ketje » le plus petit et celui qui porte quasiment en permanence une écharpe. Très jeune et plutôt naïf, Flupke (« petit Philippe » en bruxellois) rejoint son ami Quick le 13 février 1930. Flupke est certainement la transposition de Philippe Gérard, un jeune scout à l’esprit pétillant qui était l’ami de Hergé mais avec lequel il se fâcha définitivement pendant la guerre.

Tout au long des années trente, Hergé fera vivre parallèlement à Tintin les deux garnements insupportables. Ils animeront les pages du Petit Vingtième de manière quasi hebdomadaire jusqu’en 1935, puis de façon de plus en plus irrégulière jusqu’au 8 mai 1940.

« …J’ai abandonné ces garnements-là parce qu’ils me donnaient beaucoup de soucis alors que Tintin me mobilisait de plus en plus… », expliqua Hergé à Numa Sadoul.

La série parut aussi dans Cœurs Vaillants en 1934, sous le nom de Quick et Jo…

…Un nouvel exemple des « libertés » que prenait le journal français Cœurs Vaillants à l’égard de Hergé. Par exemple, en 1934, Cœurs Vaillants, a fait paraître 16 gags de Quick & Flupke. Plus précisément du 27 mai au 9 septembre 1934, entre la prépublication de Tintin en Amérique et celle de Tintin en Orient. Mais il se trouve que le nom de Flupke ne plaisait pas à la direction de Cœurs Vaillants, pas assez français. Qu’à cela ne tienne, ce sont désormais les exploits de « Quick et Jo » ! Et tout cela sans prévenir Hergé. Fort heureusement cette triste expérience ne sera pas renouvelée après 16 parutions.

Il y aura aussi 3 gags en couverture dans le Soir Jeunesse pendant l’hiver 1940-41, enfin ils reviendront dans le Journal Tintin en 1947 pendant une dizaine d’années en couleur.

Série ironique et irrespectueuse, Les exploits de Quick et Flupke représentent le versant anarchisant de la création hergéenne. L’humour corrosif d’un bon nombre de ces gags semble servir d’antidote à ce que le reste du travail de l’auteur pourrait avoir de trop sage.

L’HUMOUR CORROSIF DE HERGÉ

Les exploits de Quick et Flupke apparaissent comme une sorte de négatif des Aventures de Tintin. En lisant cette série, on a l’impression qu’Hergé y a disposé tous les éléments que ses autres albums n’étaient pas en mesure d’accueillir.

Contrairement aux Aventures de Tintin, ce ne sont pas des fresques ambitieuses que l’on découvre, ni rebondissements incessants ni suspense haletant, mais de simples gags qui se développent et se concluent en deux planches.

Pas question d’exotisme non plus à l’intérieur de cette série : pas d’exploration de pays lointains ni d’incursions en des lieux inconnus, mais tout simplement l’évocation d’un univers presque familier, à la limite du quotidien. Chacune des historiettes se déroule dans un Bruxelles qui doit beaucoup à ce quartier populaire des Marolles dont était originaire la grand-mère de Georges Rémi. Dans Quick et Flupke, les problèmes ont toujours pour cause les héros eux-mêmes, comme si ceux-ci n’avaient pour but que d’introduire autant de perturbations que possible dans un univers au départ stable. Les 2 « ketjes » (comme on les appelle en bruxellois) vont donc s’en prendre en priorité à ces représentants privilégiés de la loi que sont les parents, le maître d’école et surtout l’agent de police n° 15, leur cible favorite.

Quoi de surprenant aussi à ce que cette mise en cause privée soit quelquefois prolongée par un anarchisme politique dont Hitler et Mussolini, représentants caricaturaux du discours adulte, sont fréquemment les victimes.

En fait, ce n’est que rarement de front que les garnements s’attaquent à tout cela : l’ordre imposé par les adultes leur semble si coercitif et si absurde que, même sans le vouloir et souvent avec la meilleure volonté du monde, Quick et Flupke ne cessent de s’y heurter et de provoquer de petites catastrophes. C’est d’ailleurs l’une des forces de la série – et le secret de la jubilation qu’elle provoque chez les petits – que de nous offrir un véritable point de vue enfantin sur le monde.

A travers cet ensemble de gags, on le sent bien, Hergé a pu vivre pleinement l’enfance endiablée qu’il n’avait pas vraiment connue. Quick et Flupke incarnent son fantasme d’enfant turbulent tout comme Tintin matérialise les rêveries de reporter aventurier de sa jeunesse.

LES DEUX PÔLES DE LA CRÉATION HERGÉENNE

Par-delà ces différences d’ampleur et de contexte, c’est surtout un renversement de structure qui permet de distinguer les deux pôles de la création hergéenne.

Dans les Aventures de Tintin (et plus encore dans celles de Jo, Zette et Jocko), le désordre – c’est-à-dire l’élément inducteur de récit – est toujours le fait de la situation extérieure; les héros ne visent, quant à eux, qu’à remettre les choses en place. Rien d’étonnant donc à ce que cette remise en ordre se double, parfois, d’un certain conservatisme politique. 

 L’une des principales nouveautés de ces bandes réside dans les audaces formelles que Hergé y introduit. Lui si soucieux, dans les premiers Tintin, d’élaborer une forme vraisemblable, efficace et pour ainsi dire transparente, voici qu’il passe son temps à exhiber ces codes qu’habituellement il ne cherche qu’à dissimuler. Alors que Tintin repose par exemple sur une perception régulière de la page, il utilise ici les techniques les plus variées: certaines planches ne comportent pas de séparation entre les cases, d’autres essaient des mises en page audacieuses ou des intégrations inattendues du texte dans l’image; l’une même est censée avoir été dessinée par Flupke en personne.

Mais, surtout, Hergé se sert ludiquement des codes et des conventions de la bande dessinée pour créer des gags d’un humour tout à fait spécifique. Il fait intervenir à l’intérieur de l’histoire les albums dont Quick et Flupke sont les héros, il apparaît aussi lui-même dans un grand nombre de planches (généralement d’ailleurs pour se faire prendre à partie par ses propres personnages, ces garnements décidément irrespectueux de tout y compris de leur créateur). D’autres fois, les héros se cognent sur le bord de la case ou gomment les éléments du dessin qui les dérangent, le tout dans un esprit d’absolue liberté.

Les exploits de Quick et Flupke annoncent par bien des traits un comique de dérision qui ne se développera que beaucoup plus tard, à partir des années soixante. Le versant ludique incarné par cette série ne disparaîtra pas pour autant de l’univers hergéen. Tout se passe au contraire comme si la fantaisie de Quick et Flupke s’intégrait dès cette époque aux Aventures de Tintin. N’est-ce pas au moment même où il interrompt les activités des deux gamins des Marolles qu’apparaissent dans Tintin les personnages d’Haddock et de Tournesol, proches l’un et l’autre de l’enfance et tous deux inducteurs de désordre, le premier par son alcoolisme, le second par sa surdité et ses distractions? Et lorsque Hergé développera en sept ou huit images un gag autour d’un élastique ou d’un morceau de sparadrap, il ne sera pas difficile de comprendre sa provenance.

L’AGENT NUMÉRO 15 A UN NOM ! LE SAVIEZ-VOUS ? 

QUAND QUICK ET FLUPKE ÉTAIENT MIS EN CONGÉ POUR CAUSE DE FIANÇAILLES DE GEORGE REMI…

Comme on le voit dans ce gag publié le 25 février 1932 dans le Petit Vingtième. Et pour cause. Philippe Goddin dans sa « Chronologie d’une Oeuvre » nous en donne le motif : « Le 21 février 1932 , au 9 rue Nicolay à Laeken, dans la banlieue bruxelloise, chez M. et Mme Richard Kieckens, le salon déborde de fleurs : leur fille unique Germaine se fiance avec Georges Rémi« .

La semaine suivante, comme on le voit dans la page représentée ci-dessous, prétextant une grippe « synchronisée », Quick et Flupke sont exemptés de gag dans le Petit Vingtième. Hergé, mobilisé par les préparatifs de la fête, se rattrapera la semaine suivante.

DES DESSINS ANIMÉS DE QUICK ET FLUPKE : 

Une série d’animation Quick et Flupke d’origine belge et française a été créée de 1981 à 1986 (Casterman, RTBF). Elle est composée de 260 épisodes d’une minute réalisés par l’Atelier Graphoui et Johan De Moor. En voici un très charmant exemple :

     
Publication reprise à partir de : http://www.zpag.net/BD/quick_flupke.htm

 

 

 

 

 

 

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