LE TEMPLE DU SOLEIL : HERGÉ INDUIT EN ERREUR PAR SA DOCUMENTATION.

Vous connaissez tous le souci qu’accordait Hergé à la documentation qu’il accumulait avant de se lancer dans toute nouvelle aventure de Tintin. Pour le Temple du Soleil ce travail de documentation a été particulièrement poussé et ce d’autant plus que Hergé y travailla avec E-P Jacobs, connu lui aussi pour son souci presque pathologique du détail.

Jacobs et Hergé se renforçaient-ils mutuellement dans leur tendance au perfectionnisme. Chaque détail a fait l’objet de recherches et de vérifications. Ainsi Hergé avait été jusqu’à faire confectionner un poncho à rayures 

‘Edgar Jacobs s’en couvrait et prenait la pose. Et parfois, on punaisait le poncho au mur pour bien en fixer les plis, pour donner l’illusion que le vent le faisait voler, et je dessinais fidèlement les rayures…’ (Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, Editions Casterman, p. 106).

Illustration dont s’est inspiré Hergé, extraite du National Geographic Magazine. Pour l’anecdote, l’auteur de ces superbes dessins se nommait HERGET !!!

LEURS 3 PRINCIPALES SOURCES DE DOCUMENTATION

Pour leur documentation, ils se sont appuyés principalement sur trois sources :

  1. Un reportage paru dans le National Geographic Magazine intitulé : The Incas : Empire Builders of the Andes. Dans ce numéro de 1938 de la revue américaine, on trouve 40 pages illustrées de photos et de dessins sur les Incas.
  2. L’Épouse du Soleil, de Gaston Leroux (1913)
  3. Pérou et Bolivie, de Charles Wiener (1880).

LE LIVRE DE CHARLES WIENER

Ce dernier ouvrage, publié en 1880, contenait plus de 1 100 gravures, l’auteur ayant systématiquement croqué sur son passage tout ce qu’il apercevait, depuis les fleuves et les montagnes jusqu’aux vêtements et aux ustensiles de cuisine.Tous ces éléments allaient permettre à Hergé de crédibiliser son récit, de l’insérer dans un contexte qui soit juste à chaque instant. La précision des détails est d’ailleurs telle que bien des lecteurs de l’album restèrent persuadés qu’Hergé avait effectué d’importants repérages sur le terrain. Un ambassadeur du Pérou alla même jusqu’à vérifier qu’aucun visa pour son pays n’avait été délivré au sieur Georges Rémi avant d’admettre que l’auteur ne s’y était pas rendu.

La grande habileté d’Hergé, face à cette énorme documentation qu’il avait accumulée, fut en fait de s’en servir avec beaucoup de parcimonie. Là où n’importe quel autre dessinateur n’aurait pu résister à la tentation de réaliser à tout bout de champ de grandes vues démonstratives, Hergé n’utilise les éléments de couleur locale que lorsqu’ils sont susceptibles de se fondre au récit et d’augmenter son caractère dramatique. C’est ce qui lui permet d’éviter ce que l’on pourrait appeler le regard du touriste. Aucune vue générale du Temple ne nous est par exemple offerte. Nous ne découvrons le lieu qu’en compagnie des personnages, c’est-à-dire de l’intérieur.

De même, là où bien des auteurs (dont Jacobs) n’auraient pu s’empêcher de glisser de multiples tirades sur les Incas à l’intérieur du récit, l’alourdissant et le faisant crouler sous les textes, Hergé a l’intelligence de laisser de tels éléments dans les marges de son histoire: dans le journal Tintin, juste avant l’arrivée des personnages au Temple du Soleil, huit notices explicatives, signées Tintin et intitulées « Qui étaient les Incas? », renseignaient les lecteurs sur les principaux aspects de cette civilisation. C’est que pour Hergé, si la vraisemblance et la précision constituent d’indispensables bases de travail, elles ne deviennent jamais envahissantes au point de paralyser la narration. Toujours, c’est la fiction qui occupe le devant de la scène, l’auteur laissant l’imaginaire se développer librement à partir d’une base rigoureusement cernée.

Toujours est-il qu’en reproduisant scrupuleusement les croquis de Wiener, Hergé a commis des erreurs… Tout simplement parce que Charles Wiener, lui-même les avaient commises.

C’est un ami de ce blog, Guy Vanackeren, qui vit depuis des années au Pérou qui a pris la peine de nous les signaler, photos à l’appui.

L’EXEMPLE DE LA CHULPA

Guy attire notre attention sur la « chulpa » ou tour funéraire dans laquelle Tintin et Zorrino vont passer la nuit. Je le cite :

Tintin accède, dans la bande dessinée, à l’intérieur de celle-ci par une grande porte triangulaire. Je ne connais encore personne au Pérou qui ait vu d’entrée de ce type pour ces tours, ni guide, ni historien, ni archéologue, ni anthropologue, ni habitant proche de site qui en abrite comme à Sillustani proche de la ville de Puno, pas plus qu’à Mauqallacta dans la province d’Espinar. Mais, Wiener en présente bien une que Georges Rémy à reproduit minutieusement jusqu’au moindre détail.’

En réalité les entrées sont petites et quadrangulaires comme on le voit sur les photos ci-dessous :

Si Tintin est connu, Charles Wiener l’est beaucoup moins. Pourtant c’est l’un des pères de l’exploration archéologique en Amérique du Sud.

Charles Wiener, né à Vienne (Autriche-Hongrie) en 1851, vient s’installer à Paris avec sa famille en 1867 après le décès de son père.Explorateur et archéologue, Charles Wiener fut également diplomate. Il fut en poste à Guayaquil (vice-consul), Santiago du Chili (consul), Assomption (consul), La Paz (consul), Montevideo (ministre plénipotentiaire), Caracas (ministre plénipotentiaire). Il effectua parallèlement plusieurs importantes missions commerciales sur le continent. Charles Wiener décède en 1913 à Rio de Janeiro. Charles Wiener contribua également directement à la création du musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris. Les collections qu’il rapporta d’Amérique du Sud font partie du noyau initial du nouveau musée. Elles sont aujourd’hui conservées au musée du quai Branly.

 

 

 

 

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Un commentaire


  1. Je suis allé à Sillustanu, j’ai vu les chulpas, aucune n’a d’ouverture au sens propre du mot plutôt des aérations puisqu’ il semblerait qu’il s’agirait de sépultures !!!
    Donc, pas question de pouvoir camper à l’intérieur, grosse erreur d’Hergé !

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