ALEXANDRE BERQUEMAN COLLECTIONNEUR D’OBJETS DE MARINE

Un géomètre arpenteur, passionné par la mer.

Le samedi 4 juillet 1942, dans le journal quotidien Le Soir, Tintin rend une visite impromptue au collectionneur de maquettes de bateau Ivan Ivanovich Sakharine. Sans plus attendre, un lecteur particulièrement attentif, Alexandre Berqueman, prend la plume pour dire sa façon de penser à Hergé. Vu les rapports amicaux qu’il entretient avec Hergé, il s’autorise même un peu d’ironie :

« …Voyons, Monsieur Hergé, écrit-il, votre collectionneur n’a pas une bien belle salle ! Et je n’y vois même pas « L’Art et la Mer » ! Au plaisir de vous voir bientôt, comme convenu ? « 

En effet, Depuis qu’il a entrepris l’aventure qu’il intitulera plus tard Le Secret de La Licorne, Hergé a eu régulièrement recours à Alexandre Berqueman, dont il a dû faire la connaissance à Boitsfort, au bord de l’étang de Tenreuken où les membres du « Model Yacht Club » de Bruxelles ont pris l’habitude de se réunir tous les dimanches matin, pour faire évoluer leurs modèles réduits de bateaux. Hergé y passe en voisin, et Berqueman en habitué : ils ont dû rapidement sympathiser. De cette rencontre – et de quelques autres – est née chez Hergé l’envie d’envoyer ses héros vivre des aventures nautiques. L’intérêt que le dessinateur a toujours éprouvé pour l’univers maritime s’est ainsi trouvé renforcé.

UN GÉOMÈTRE ARPENTEUR PASSIONNÉ PAR LA MER

Candidat ingénieur des Mines, Alexandre Berqueman, qui exerce la profession de géomètre arpenteur, est un passionné de la Mer. Grâce à la fortune qu’il a héritée de ses parents, lesquels s’étaient enrichis durant la Grande Guerre dans le négoce des métaux non ferreux, il vit pratiquement de ses rentes et s’adonne presque à plein temps à sa passion : collectionner les objets de marine, et à son corollaire : tenter par tous les moyens de convaincre les pouvoirs publics de créer un Musée belge de Marine. Paradoxalement, il n’a jamais navigué, mais dispose, entre autres biens immobiliers, d’un appartement sur digue de Heist-sur-Mer, où son regard peut à loisir se perdre sur l’horizon.

Quant à la maison bourgeoise qu’il possède à Bruxelles, au numéro 17 de la rue Fontainas, à dix minutes à pied du Vieux Marché, il en a fait couvrir la cour intérieure par une verrière pour disposer d’une spacieuse « salle de marine », où il expose ses trésors.

C’est d’ailleurs au dos de la carte postale qui représente cette « bien belle salle » qu’il vient d’écrire à Hergé. Ce dernier a, bien sûr, déjà eu les honneurs de ce musée privé, et a pu y admirer la collection de maquettes de navires que Berqueman a réunie, et qu’il a disposée parmi d’innombrables objets de marine – vestiges, reliques, livres, documents, dessins ou tableaux – qu’il affectionne. Séduit par la richesse documentaire de ce matériel, le dessinateur n’a pas manqué d’en faire profiter un vieux loup de mer de ses amis le capitaine Haddock. C’est grâce à Berqueman, notamment, qu’Hergé a pu conférer une plus grande authenticité à la décoration de l’appartement du capitaine. Ainsi, il a imaginé une gravure encadrée, à partir d’une des maquettes dont le collectionneur est légitimement le plus fier : celle de l’Elisa, un des tout premiers bateaux à vapeur, encore construit en bois, et mis à flot en 1840. Au mur, chez le capitaine, l’Elisa fendant les flots fait belle figure parmi d’autres navires encadrés… juste à côté du portrait du chevalier François de Hadoque, posant devant sa Licorne.

Lorsqu’il encourt les reproches taquins de son ami Berqueman, Hergé connaît fort bien – et pour cause ! – l’ouvrage « L’Art et la Mer » que celui-ci a publié récemment à compte d’auteur : il en a été l’un des tout premiers souscripteurs. Richement illustré, ce vibrant plaidoyer pour la sauvegarde du patrimoine maritime belge n’est sorti de presse que le 20 juin, mais, comme on l’a vu, le dessinateur en avait déjà introduit des éléments dans son récit en cours.

Ce n’est apparemment pas assez, aux yeux de celui qui se qualifie en couverture du livre comme le « Promoteur de la Création du Musée National de Marine » ! Soit ! Se dit Hergé. Puisqu’il veut des références plus affirmées, il ne perd rien pour attendre ! Car ce que son correspondant ne pouvait deviner au moment où il s’adressait à lui, c’est que Hergé allait, ce jour-là, interrompre la publication des Aventures extraordinaires de Tintin et Milou, pour cause de maladie. Il profitera donc de sa convalescence pour tenter de satisfaire son ami, visiblement toujours en mal de reconnaissance. La publication du récit reprend son cours normal le jeudi 16 juillet. Dès le lendemain, Alexandre Berqueman découvre dans Le Soir de quoi pavoiser. Non seulement son livre apparaît, bien en vue, parmi d’autres ouvrages de référence, sur la table de son « rival » Sakharine,

Mais le collectionneur peut reconnaître, sur un buffet vaguement inspiré du sien, le modèle réduit de sa galiote hollandaise, un modèle d’époque du début du XVIIIe siècle, qu’il a fait restaurer à grands frais. Elle figure en bonne place dans son ouvrage, mais apparaît également sur la carte postale qu’il avait expédiée au dessinateur.Ce que Berqueman découvrira quelques semaines plus tard, c’est que Hergé a mis en réserve un autre élément de cette salle de marine : la roue de gouvernail qu’il avait fait transformer en lustre. Celle-là n’est pas digne d’être prêtée à Sakharine, mais sera d’une certaine manière utile au capitaine Haddock. Lorsqu’il racontera à Tintin les exploits de son glorieux ancêtre, cet accessoire tombera – si l’on ose dire – à point nommé pour exprimer la violence des combats !

Source : Revue de l’association Les Amis de Hergé, n° 46 de novembre 2008.« Berqueman et la Licorne », contribution de Philippe Goddin.

Signalons pour terminer, qu’en 1943, Hergé accepta de concevoir la couverture du livre d’Alexandre Berqueman consacré (enfin !) aux Musées Belges de la Marine et qu’i lui offrira une illustration originale montrant l’ouvrage aux pieds de Tintin

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