LE CANOT DU CRABE AUX PINCES D’OR… ET LA MORT SUSPECTE D’ALBERT LONDRES !

Souvenez-vous : dans l’aventure du Crabe aux Pinces d’Or, c’est à bord d’un canot de sauvetage que Tintin et le capitaine Haddock quittent clandestinement le Karaboudjan, cargo transportant de l’opium dans les fameuses boîtes de conserve jaunes à l’effigie rouge. C’est lors d’une passionnante visite de l’exposition « Mille sabords » qui s’est tenue en avril 2001 au Musée de la Marine à Paris qu’on apprend que Hergé a dessiné ce canot à partir de photographies du naufrage du Georges-Philippar, paquebot qui coula en 1932, emportant avec lui le célèbre reporter Albert Londres

Lancé le 6 novembre 1930 à Saint-Nazaire, le Georges-Philippar était destiné à la ligne d’Extrême-Orient. Parti de Marseille le 26 février 1932 pour son premier voyage vers Saïgon, un grave incendie se déclare dans la nuit du 15 au 16 mai 1932, dans le golfe d’Aden lors du voyage de retour. Il coule quelques jours après au large du cap Guadarfui, provoquant la mort ou la disparition de 52 personnes dont le célèbre journaliste Albert Londres trouvait la mort dans le paquebot qui le ramenait de Chine à Marseille. Accident ou attentat? Le mystère reste entier. Précisons que l »installation électrique était en 220 volts à courant continu avec mise à la masse par la coque (tension élevée pour l’époque et pour du continu). Elle sera source d’incidents dès le chantier et durant toute la traversée inaugurale aller Marseille—Chine (échauffements, débuts d’incendie, courts circuits, nettement minimisés par le commandant Vicq dans son rapport de mer pour des questions d’assurance, mais confirmés par les électriciens du bord et les ouvriers des Chantiers de l’Atlantique)

LE MYSTÈRE DE LA MORT D’ALBERT LONDRES

Est-il mort noyé ou asphyxié dans sa cabine? L’incendie du paquebot Georges-Philippar est-il accidentel ou criminel? De nombreuses questions se posent encore autour de la mort du grand reporter Albert Londres. Le journaliste, célèbre pour ses reportages au long cours, meurt le 16 mai 1932 dans l’incendie du paquebot qui le ramène de Chine. Nul ne connaît le sujet de son enquête, pas même le quotidien Le Journal qui l’emploie. Tout juste sait-on qu’il rapporte un reportage choc. « C’est de la dynamite » a-t-il confié avant d’embarquer.

Après avoir couvert les affrontements sino-japonais à Shanghai de janvier à mars, il avait disparu du côté du Mandchoukouo, l’état fantoche créé après l’invasion de la Mandchourie par l’Armée impériale nippone. Enquêtait-il sur les projets d’expansion des Japonais ou sur leurs liens avec les triades chinoises et le trafic d’opium voire avec les bolchéviques? Nous ne le saurons jamais : son reportage disparaît avec lui.

Dans la nuit du 15 au 16 mai après trois semaines de mer, un court-circuit provoque un incendie sur le bateau Georges-Philippar alors qu’il navigue au large de la Somalie. De nombreux passagers s’échappent sur les canots et sont recueillis par un navire russe qui croisait non loin. Ceux logés sur le pont D près du point de départ de l’incendie meurent asphyxiés ou noyés après s’être jetés à l’eau. Sur le millier de personnes qui étaient à bord -passagers et personnels, une cinquantaine manquent à l’appel dont Albert Londres. Après la confusion des premiers jours où l’on espère encore le retrouver parmi les rescapés, les premiers témoignages confirment sa disparition. Le Figaro publie dans son édition du 2 juin le récit d’un M. Julien, ingénieur des services municipaux:

« Lorsque j’ai quitté ma cabine, fuyant devant le feu, j’ai très nettement entendu crier dans la cabine occupée par M. Albert Londres: “Au secours! Sauvez-moi!” Après l’épouvante des premières heures et le désarroi où nous avaient plongé ces tragiques événements, j’ai pensé que M. Albert Londres, qui avait sans doute utilisé la fermeture électrique pour la porte de sa cabine, n’avait pu au moment de l’incendie, ouvrir cette porte. C’est une simple supposition que je fais là, mais je ne puis m’expliquer comment il ne put sortir de sa cabine. Il y avait aussi le hublot par lequel il eut aisément passé. Pourquoi n’a-t-il pas utilisé ce moyen pour quitter la cabine? je ne sais que penser. »

La réponse arrive dans l’édition du lendemain avec un second témoignage, celui de l’un des officiers du Georges-Philippar, M. Sadorge dont la déclaration recueillie par procès-verbal est reproduite:

« J’étais sur le pont des embarcations, quand j’ai entendu des appels provenant d’une cabine de luxe du pont immédiatement inférieur et j’ai vu alors un passager qui sortait par le hublot et qui appelait à l’aide. C’était, je l’ai su depuis, M. Albert Londres. Je lui ai lancé une manche à eau, un de ces longs tuyaux de toile qui servent chaque matin au lavage du pont et doivent être utilisés en cas d’incendie pour lutter contre le feu. M. Albert Londres a saisi cette manche à eau, il s’est glissé hors de la cabine et a commencé à se hisser à la force des bras pour atteindre le pont des embarcations.

Le considérant comme en sûreté, je suis allé au secours des enfants et des femmes qui, rassemblés sur le pont supérieur, étaient inquiets et ne savaient que faire. Avec mes camarades de l’équipage, nous avons aidé à leur évacuation vers l’arrière. Or, la manche à eau à laquelle se cramponnait M. Albert Londres s’est rompue, probablement atteinte déjà par les flammes qui venaient du pont des premières, et il a dû tomber à l’eau. »

UN COMPLOT POUR LE FAIRE TAIRE ?

La disparition brutale du grand reporter paraît suspecte bien que l’enquête sur le naufrage du bateau confirme l’origine accidentelle de l’incendie. Un événement particulier alimente l’idée d’un complot. Le couple d’amis qui voyageait avec lui, les Lang-Willar sont récupérés à Brindisi par un avion spécial. On suppose alors qu’ils sont les dépositaires des informations recueillies par le journaliste. Or l’avion s’écrase emportant définitivement les secrets de Londres. Une coïncidence à laquelle certains commentateurs ne croient pas. Le Figaro lui accuse sans ambages les communistes et réclame dans son édition du 6 juin, une « offensive hardie contre le bolchévisme ». Le mystère de la mort d’Albert Londres alimente en effet tous les fantasmes. Elle inspire également les écrivains: Pierre Assouline, Régis Debray ou Bernard Cahier sont partis chacun dans un ouvrage en quête de la vérité. Belle ironie du sort qui fait du « père » du journalisme d’investigation un sujet d’enquête.

*Albert Londres: Vie et mort d’un grand reporter (1884-1932) de Pierre Assouline, Gallimard.

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