HERGÉ : LES AVENTURES DE POPOL & VIRGINIE AU FAR WEST (1934)

L’HISTOIRE ANIMALIÈRE DE HERGÉ QUI PARLE POLITIQUE ET ÉCONOMIE

Les Aventures de Popol et Virginie au Far-West, qui se situe entre Les cigares du Pharaon et Le Lotus bleu est la seule aventure “animalière” dessinée par Hergé. Elle a commencé à paraître, sous forme de feuilleton en prépublication, le 8 février 1934 dans le Petit Vingtième et s’y est terminée le 16 août 1934.

UN REMAKE D’UNE HISTOIRE PUBLICITAIRE DE 1931

Les Aventures de Popol et Virginie au Far-West sont en fait un remake d’une histoire (“publicitaire” et d’ailleurs non signée) réalisée par Hergé en 1931 : Les Aventures de Tim l’Ecureuil, héros du Far-West.

Histoire qui lui avait été commandée par le grand magasin bruxellois “A l’innovation” sous forme d’un petit journal de 4 pages qui fut distribué une fois par mois du 17 septembre au 31 décembre 1931. Il ne s’agissait pas vraiment d’une bande dessinée mais plutôt d’un récit illustré avec des images légendées.

Signalons que Tim l’écureuil trouve certainement son origine patronymique dans la patrouille des écureuils dont Hergé fut le chef sous le nom-totem de Renard Curieux lors de sa période scoutisme. L’histoire de Tim est simple : accompagné de sa fiancée Millie, et avec sa fidèle monture Fleur d’Azur, Tim l’écureuil gagne l’Amérique dans l’espoir de retrouver le trésor caché par son oncle Pad qui a perdu la raison. Pour parvenir à ses fins, il lui faudra compter avec les habitants de la région : une tribu d’indiens, les Jeannot-Lapins et le bandit Bully-le-bouledogue. Finalement tout se terminera bien, le trésor, tout comme la raison de l’oncle Pad, sera retrouvé et Tim et Millie s’installeront dans la région.

FAIRE PATIENTER LES LECTEURS

La première planche de Popol et Virginie paraît dans le même Petit Vingtième qui voit se terminer Les cigares du Pharaon, le 8 février 1934.

Hergé, qui est en train de préparer Le Lotus bleu, l’aventure suivante de Tintin (elle ne commencera à paraître qu’à partir du 9 août 1934) décide “d’adapter” Les Aventures de Tim l’Ecureuil, héros du Far-West pour faire patienter ses jeunes lecteurs jusqu’au retour de Tintin. Il écrira plus tard, le 26 mars 1969, en réponse à une lettre d’un de ses lecteurs : « …Pour Popol et Virginie, il s’agirait, dans une certaine mesure, d’une réaction : le recours à des animaux, pour rompre un moment avec le réalisme qui était la marque de Tintin. Un peu d’invraisemblance pour me changer de la “crédibilité” aux lois de laquelle j’étais soumis par Tintin…”.

En fait, c’est bien plus que cela. On verra que Hergé introduit dans cette aventure fantaisiste une dimension bien réelle, comme s’il avait toujours besoin de prendre appui sur les éléments les plus concrets et presque les plus quotidiens pour croire lui-même à ses histoires et dès lors nous en convaincre.

UNE HISTOIRE POUR ENFANTS…

Dans cette aventure, Hergé délaisse la figuration réaliste de Tintin et de Quick et Flupke pour entrer dans l’imaginaire des tout jeunes lecteurs Popol et Virginie (clin d’œil à Bernardin de Saint Pierre et à son “Paul et Virginie”) tiennent à la fois de l’ours et de l’homme. Ils ont une truffe, des oreilles rondes mais des pieds et des mains comme les humains, il y a des lapins (les Lapinos), un chien (Bully-Bull), un cheval doté de nombreux pouvoirs (Fleur d’Azur), etc.

Popol est chapelier, il avait vu ses affaires péricliter de façon inquiétante du fait de la crise économique de 1929 et surtout de la mode d’aller nu-tête. Alors, comme il était un homme de ressources, il liquida son commerce et partit avec sa douce Virginie chercher fortune ailleurs.

Il s’expatrie donc au Far-West où ses talents de publicitaire lui permettent de lancer la mode du chapeau. Ce dernier devient à tel point “tendance” qu’il a vite fait de détrôner les traditionnelles “coiffes à plumes”. Popol fait de telles affaires avec la tribu des Lapinos qu’il envisage même de s’agrandir.

Mais le bonheur des uns faits parfois le malheur des autres : ce sont alors les affaires du Sorcier, vendeur officiel de coiffures à plumes, qui en subissent les conséquences. Qui plus est, son associé aux bénéfices est le chef de la tribu. Aussi pour préserver leur commerce de plumes, ils lancent une guerre contre Popol et Virginie… Pleine de rebondissements jusqu’à la Happy-end !

… QUI CACHE UNE VÉRITABLE LEÇON D’ÉCONOMIE POLITIQUE

Sous des dehors enfantins et juvéniles, ce récit est cependant plein d’intérêt. Hergé, à travers ses personnages animaliers en profite. Il parvient à décrire une situation de crise économique dans laquelle on retrouve plusieurs uns de ses thèmes privilégiés :

  • Les Lapinos défilent au pas de l’oie devant leur chef (allusion au nazisme qui apparaissait à l’époque).
  • Le marchand d’armes (de flèches en l’occurrence) vend sans état d’âme aux 2 camps (il annonce le très réel marchand de canons Basile Bazaroff dans l’Oreille Cassée).
  • Sur les pancartes on lit des slogans tels que “Qui veut la Paix, prépare la guerre” ou “la mobilisation n’est pas la guerre”, des colombes de la Paix évitent de justesse des projectiles, etc…

Hergé administre ici une véritable leçon d’économie politique : libre concurrence, protectionnisme (à l’ordre du jour dans l’Amérique de Roosevelt), concurrence sauvage, participation aux bénéfices, boycott, publicité et propagande… Tout y est, du marketing aux conflits mondiaux.

Sans parler du discours “national-socialiste” du Chef Lapinos :

L’étranger, voyant le succès de son commerce ici, appellera à lui ses parents, ses amis et les amis de ses amis. Bientôt, parmi vous, ce sera le chômage et la misère. Il ne faut pas que cela soit. Noble peuple Lapinos, sauvegardons notre indépendance et notre liberté et chassons du pays l’envahisseur”.

Ce discours n’est pas sans annoncer les propos d’un certain Adolf Hitler !

Hergé avoua plus tard, dans ses entretiens avec Numa Sadoul, qu’il s’agissait d’une expérience infructueuse :

…J’ai essayé de mettre en scène des animaux et j’ai vu rapidement que ça ne me menait nulle part. J’en suis donc revenu à des personnages humains…

Signalons qu’en 1948, es Aventures de Popol et Virginie au Far-West furent à nouveau publiées (en couleurs cette fois) dans l’édition belge du Journal de Tintin sous le titre : Popol et Virginie au pays des Lapinos” du 29 avril 1948 au 29 juillet 1948 dans une version enrichie et mise en couleurs par Hergé.

Pour lire l’intégralité de l’aventure parue dans le Journal Tintin en 1948, cliquez sur l’image ci-dessous :

 

 

 

 

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Un commentaire


  1. Super commentaire sur cette magnifique BD, origine etc …etc …. merci

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