LES ÉPOPÉES ARABES DE TINTIN

Tintin a eu de nombreuses aventures dans le monde arabe et l’on peut parler d’une sorte de tétralogie arabe de Tintin. Notre ami  Gabriel Coatantiec s’est penché sur la question. 4 albums se passent au Moyen-Orient et leur lecture prend en quelque sorte actuellement un regain d’actualité et s’avère riche d’enseignements.

LES CIGARES DU PHARAON

Dans ce premier récit, Tintin fait une croisière et fait escale à Port Saïd, à l’entrée du canal de Suez. Aux environs du Caire, avec les pyramides à l’arrière-plan, il découvre le tombeau d’un pharaon. Il lutte aussi contre des trafiquants d’opium en mer Rouge, dont pour la première fois le sinistre Allan Thompson, qui sera plus tard le second peu recommandable du capitaine Haddock et fait la connaissance de Rastapopoulos.

Tintin navigue sur un boutre, rencontre un trafiquant d’armes, digne des récits de Henri de Monfreid (les secrets de la Mer Rouge), fait la connaissance du senhor Oliveira da Figuera, commerçant portugais qui vendrait du sable à un bédouin dans le désert, et à propos de bédouin, prend le thé sous la tente avec le cheik Patrash Pasha, lequel s’avère être l’un de ses fidèles admirateurs. À la fin il manque de mourir de soif dans le désert et d’être fusillé lors d’une guerre locale.

LE CRABE AU PINCES D’OR

Cet épisode est très important, car Tintin y fait la connaissance du capitaine Haddock. Celui-ci avait sombré dans l’alcool pendant que son second (qui n’est autre que Allan) organisait un trafic de drogue dans des fausses boites de crabe.

Tintin et le capitaine s’enfuient, s’emparent d’un petit avion et vont survoler le désert du sud marocain comme St Exupéry. Ils vont manquer d’y mourir de soif et être attaqués par des pillards du désert, avant d’être secourus par des méharistes français commandé par le lieutenant Delcourt (le Maroc était alors une colonie française). Ils vont alors retrouver dans un port marocain (Bagghar) le bateau du capitaine, poursuivre Allan et démasquer un gros bonnet de la drogue, Omar Ben Salaad.

TINTIN AU PAYS DE L’OR NOIR

Il s’agit, comme le dit Tintin d’un épisode de la guerre du pétrole, en Arabie Khémédite où règne l’émir Ben Kalish Ezab, un prince digne des émirs du golfe persique et des dynasties d’Arabie Saoudite, en butte à la rébellion d’un chef de guerre du désert, le sheik Bab El Ehr. Tintin va avec l’aide du senhor Oliveira lutter contre un aventurier qu’il a connu dans l’Ile Noire sous le nom de docteur Muller et qui a pris ici le nom de professeur Smith. Ce dernier organise un attentat contre un oléoduc, fabrique un explosif pour rendre inutilisable l’essence et fait du chantage (pour obtenir l’exclusivité d’un contrat pétrolier en faveur de la Skoil Petroleum, au détriment de l’ Arabex ) auprès de l’émir en enlevant son fils Abdallah, véritable garnement, très mal élevé par son père qui lui passe tout.

COKE EN STOCK

Le cheik Bab El Ehr a réussi à prendre le pouvoir avec l’aide de l’aviation fournie par les trafiquants d’armes et à évincer l’émir Ben Kalish Ezad qui a envoyé son fils Abdallah à Moulinsart pour le protéger et s’est réfugié dans un temple digne de Petra, chez Patrash Pasha qui lui est resté fidèle. Tintin et le capitaine vont donc aller au Khémed. Ils échappent à un attentat à la bombe en avion et sont aidés par l’ineffable Senhor Oliveira da Figueira. Ils vont à nouveau rencontrer Allan et son patron Rastapopoulos, propriétaire de l’Arabair et au bout du compte vont mettre fin à un odieux trafic d’esclaves dont étaient victimes les pèlerins de La Mecque.

TINTIN ET LE MONDE ARABE

L’EGYPTE

Peut-être sous l’influence d’EP Jacobs, collaborateur d’Hergé dont l’un des grands succès a été Le Secret de la grande pyramide, le début des cigares du pharaon est marqué par l’égyptomanie : superbes ambiances, dieux à têtes d’animaux, passages secrets, sarcophages, découverte du tombeau d’un pharaon. On parle aussi dans cet album du fameux canal de Suez qui fit l’objet de l’expédition franco anglaise en 1956, du temps de Nasser.

LE PÉTROLE

C’est la grande richesse de l’Arabie Khémédite, gouvernée par l’émir Mohammed Ben Kalish Ezab, véritable potentat, saisissante évocation des dynasties du Golfe, mais dont le fils n’a pas encore le sens des responsabilités.

On peut voir les symboles de l’industrie pétrolière: un pétrolier (le Speedool Star), les réservoirs sur les quais, le pipe-line près de l’oasis. C’est la guerre du pétrole entre deux compagnies pétrolières: l’Arabex qui a le soutien de l’émir et une compagnie étrangère, la Skoil Petroleum qui veut s’emparer du pétrole par tous les moyens, du coup d’état aux sabotages. Jacques Martin, collaborateur de Hergé avec Lefranc, a lui aussi raconté des histoires de guerre du pétrole comme L’ouragan de feu.

LE DÉSERT

Les récits décrivent avec humour le monde du désert, que ce soit au Sahara marocain, en Égypte ou en Arabie: le pays de la soif, comme dans Lawrence d’Arabie, les dunes à perte de vue, les tempêtes de sable, les caravanes de chameaux, le phénomène des mirages, l’importance des oasis, la vie des bédouins sous la tente, décorés de somptueux tapis, en buvant le thé.

LA COLONISATION

Elle est évoquée en arrière-plan:

– La colonisation française: elle est présente au Sahara: on visite un poste français, le poste d’Afghar, avec une compagnie de méharistes commandée par le lieutenant Delcourt, poursuivant les pillards Berabers du désert. C’est St Exupéry, Charles de Foucault ou Lyautey ! À Baggar, port sur la côte marocaine, la police est également française.

– La colonisation anglaise, avec les tommies, est également évoquée dans les premières versions de L’or noir, avec les attentats anti anglais qui ont accompagné la création de l’état d’Israël, évoquée dans le film Exodus.

– La décolonisation: elle est prise en compte dans les changements de costumes entre l’ancienne version et la nouvelle version de L’Or Noir. On passe de la police anglaise à la police arabe.

LA NÉO COLONISATION

Elle transparaît dans le personnage du professeur Smith voulant imposer sa volonté à l’émir d’Arabie Khémédite. Elle est liée aux intérêts pétroliers, à celui des compagnies aériennes (l’Arabair de Rastapopoulos), aux trafic d’armes et d’avions, aux coups d’état organisés en sous-main de l’étranger (l’Arabair a aidé le scheik Bab El her à renverser l’émir pour livrer le pétrole à la Skoil).

Mais elle suscite de fortes réactions: le sheik Patrash dit à Tintin: Nous ne voulons pas des produits de votre prétendue civilisation !. C’est quand même très fort ! L’émir lui-même s’en prend à Tintin: Tu mens comme tous ceux de ta race ! et quand Tintin, avec sa bonne conscience, demande un procès régulier pour le docteur Muller, l’émir lui dit: Que vous êtes compliqués, vous les occidentaux .

À noter aussi au chapitre du néo colonialisme le gag un peu lourd des Dupondt , dans les Cigares du pharaon, qui ne serait plus admis aujourd’hui, mais en fait, ce sont les Dupondt qui sont ridicules. On le pardonne, venant d’eux. Tintin toujours respectueux n’aurait jamais fait cela.

L’ISLAM ET LES MERVEILLES DE L’ORIENT

L’Islam est présent en arrière-plan culturel et évoqué pudiquement et avec respect:

– Dans les expressions. Tintin trouvant une oasis dit : Dieu soit loué ! et ses interlocuteurs disent: Qu’Allah soit avec toi ! et jurent Par la barbe du prophète !

– Wadesdah est sur la route de La Mecque. On observe l’appel à la prière du haut des minarets et l’on visite l’intérieur d’une mosquée à l’heure de la prière. On a bien noté que l’on doit se déchausser avant d’entrer, mais les Dupondt n’ont pas lu l’affiche à l’entrée.

– Les hommes ont un costume typique avec une étoffe pour se protéger du soleil et les femmes se rendant au puits sont voilées. On peut voir dans les ruelles une femme voilée dont on ne voit que les yeux qui en sont d’autant plus admirables et intenses.

On admire aussi les splendeurs architecturales du Moyen-Orient: les ruelles pittoresques du port marocain ou de la capitale du Khémed, les portes monumentales des villes comme sur cette superbe grande vignette :

On peut aussi admirer la splendeur et les couleurs des tissus, tentures et tapis, ainsi que la finesse des colonnades et des « arabesques » de la décoration. À remarquer la qualité de la calligraphie de l’écriture arabe: il ne s’agit pas d’un texte imaginé mais bien d’une écriture authentique, aussi bien dans le titre que dans la lettre à l’émir après l’enlèvement de son fils.

ATTENTATS ET ENLÈVEMENTS

Le pays est violent et l’on observe au moins trois attentats :

– attentat en voiture, à la bombe lacrymogène, avec masques à gaz, pour enlever Tintin.

– attentat contre un oléoduc que Muller fait exploser pour faire pression sur l’émir.

– attentat à la bombe pour faire exploser un avion au-dessus du djebel, commandité par les plus hautes autorités du Khemed, devenu une dictature militaire après un coup d’état soutenu par une compagnie pétrolière étrangère.

– à noter aussi les enlèvements: de Tintin à deux reprises et du fils de l’émir.

LA GUERRE

Elle est à tous les niveaux:

– guerre locale avec la tribu des Bouaras, où Tintin est enrôlé de force dans Les cigares du Pharaon.

– guerre entre tribus, entre le cheik Bab El Ehr et l’émir. Une fois, l’aviation de l’émir repère le camp du cheik, une autre fois, la révolte triomphe, grâce à des avions de contrebande et l’émir doit se réfugier dans le djebel.

– et aussi risque de tensions internationales. Le capitaine Haddock est mobilisé et les journaux et la radio traduisent l’inquiétude générale.

– l’aviation joue un rôle important: survol du camp de Bab EL Ehr pour distribuer des tracts, et de l’autre côté, attaque par erreur d’une colonne blindée par les mosquitos et attaque par l’aviation du petit bateau dans lequel Tintin et le capitaine se rendent à La Mecque.

LE TRAFIC D’ARMES ET LE TRAFIC DE DROGUE

– On voit le trafic d’armes en Mer Rouge où Tintin découvre des mitrailleuses et des fusils mitrailleurs de contrebande sur un boutre.

– On voit les trafics internationaux sur la vente des avions Mosquitos, dans les deux camps et aussi en Amérique du sud avec le général Alcazar, avec des intermédiaires peu recommandables comme Dawson

– La drogue: encore un trafic, avec ses réseaux, sa contrebande dans de fausses boîtes de crabe, le faux naufrage d’un navire de contrebande, et ses gros bonnets insoupçonnables au départ.

LES MONARCHIES DU GOLFE

L’émir Ben Kalish Ezab en est un digne représentant. Il vit dans un palais, entouré de magnifiques jardins et de fleurs. Son conseiller militaire, Youssouf Ben Moulfrid peut réunir rapidement trois cent hommes à cheval pour une expédition. Son héritier est infernal. L’émir a une réputation terrible et ses ennemis les plus endurcis en ont peur. Muller préfère se suicider que de tomber entre ses mains. Mais l’émir peut résister par fierté et par honnêteté aux pressions étrangères malgré les attentats et les menaces sur son fils et c’est aussi un grand poète, surtout quand il pense à son fils.

CONCLUSION

Ainsi le monde arabe a pris une grande importance dans le cycle de Tintin. Ce sujet répondait à l’époque au besoin d’aventures des lecteurs et à la mode de l’orientalisme qui existait aussi en peinture et en littérature (Rimbaud). Certains détails ont pu être corrigés par Hergé dans les versions modifiées des albums, mais dans l’ensemble, ce sujet n’a pas pris une ride, et -je dirais même plus- est devenu d’une tragique actualité, se présentant de façon édulcorée par rapport à la gravité des problèmes actuels. Il existe ainsi chez Hergé une géopolitique symbolique du Moyen-Orient, comme de l’Amérique du Sud et des Balkans qui a le mérite de nous faire réfléchir, sans manichéisme et sans être pesante.

 

 

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6 commentaires


  1. Très bon documentaire sur le Monde Arabe de Tintin !
    Merci,Gabriel !……..mais que deviens-tu depuis tant d’années de silence-radio ???

    Répondre

      1. Elle se passe où exactement cette Journée Tintinophile ?
        Merci !

        Répondre

          1. J’en ai bien envie,mais je ne crois pas que ce sera possible ! cela me fait plus de 1200 kms A/R….!
            Désolé !!

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