HADDOCK, CAPITAINE D’UN BATEAU-MOUCHE !

À la page 30 de Tintin et les Picaros, le capitaine Haddock reçoit un coup violent derrière la tête qui pour effet, de le faire divaguer. Quand il dit que son bateau s’est envolé (page 31), Tintin lui réplique qu’un bateau ne vole pas. La réponse du capitaine le mien, il vole, c’est un bateau-mouche… peut sembler saugrenue alors qu’il fait un jeu de mots …

L’Origine de l’expression bateau-mouche

Il faut remonter à la fin du 19e siècle pour trouver les premières traces des bateaux mouches. Si aujourd’hui, ces embarcations sont intrinsèquement liées à Paris et à la Seine, leur création est en réalité plutôt liée à la ville de Lyon. Le terme bateau-mouche naît sur les rives de la Saône, dans une des banlieues sud de Lyon, construite sur d’anciens bras fluviaux comblés afin d’assainir la ville. Ces bras fluviaux, autrefois appelés « mouches » ont donné leur surnom à ce quartier, le quartier de la Mouche (Gerland aujourd’hui) et, c’est tout naturellement que les embarcations sorties de ses chantiers navals en 1862 ont vite été associés à leur lieu d’origine. L’exploitation de ces bateaux avait déjà commencé en région lyonnaise de décembre 1862 à 1913, la « Compagnie des Bateaux Mouches » exploitant une ligne de transport de voyageurs entre la Mulatière et Vaise avec cinq navires.

C’est à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867 que les premiers bateaux-mouches firent leur entrée dans la capitale française. Suite à un concours le constructeur naval lyonnais Michel Félizat (associé à d’autres Lyonnais) remporta le prix. Ces bateaux (une trentaine) furent acheminés par la Saône, le canal de Bourgogne, l’Yonne et la Seine jusqu’à Paris où ils firent la joie des Parisiens qui adoptèrent sans plus tarder ce nouveau moyen de navigation.

On doit la première mention imprimée des bateaux-mouches à Paul Bert, qui dans ouvrage posthume de 1887, les y décrit ainsi: « Les bateaux-mouches qui transportent les passagers sur la Seine, dans la traversée de Paris et la banlieue, sont des bateaux à hélices mus par la vapeur. Ils contiennent de 300 à 400 personnes tant dans leur cabine que sur le pont. Par leur rapidité et le bas prix des places, ils rendent de grands services à la population parisienne. » (Paul Bert. Lecture et leçon de choses, 1887). En l’occurrence, il ne s’agit pas à l’évidence de l’usage touristique que nous connaissons aujourd’hui, mais bien d’un réel moyen de transport permettant de se rendre d’un point à un autre de Paris en un rien de temps et pour des prix défiant toutes concurrences.

Cependant, cette apogée des Bateaux-Mouches n’est que de courte durée. Les progrès technologiques magnifiés lors de l’exposition universelle de 1867 et qui avaient permis leur apparition, tombent en désuétude face au développement du Métropolitain (avec l’ouverture de la première ligne de métro qui relie la Porte de Vincennes à la Porte Maillot) sonne le glas de la navigation de transport sur la Seine à partir de 1900.

Jean Bruel : le nouvel essor des Bateaux-Mouches

Jean Bruel

Il faudra attendre l’esprit précurseur d’un certain Jean Bruel pour que les bateaux-mouches réapparaissent dans leur version touristique actuelle après la Seconde Guerre Mondiale. Celui-ci achète en effet un exemplaire des bateaux-mouches de l’exposition universelle en 1949 et le réplique dans sa nouvelle compagnie fluviale : la Compagnie des Bateaux-Mouches® qui naît en 1950 en même temps que le dépôt de la dénomination Bateaux-Mouches en tant que marque commerciale.

Il est le premier à avoir eu l’idée, en 1949, de faire visiter Paris par voie fluviale. C’est avec un concept inédit qui sonne comme un slogan : faire visiter Paris par sa plus belle avenue : la Seine que Jean Bruel créa les « Bateaux-Mouches® ». En acquérant l’un des derniers bateaux à vapeur, utilisé lors de l’exposition universelle de 1900, il donne naissance en 1949 à une activité inédite sur la Seine, les croisières commentées sans escale, partant d’un port d’attache et y revenant.  L’un de ses coups de génie aura été de monter sur sa flotte des projecteurs de DCA abandonnés par les Allemands, afin d’éclairer les rives de la Seine.

Jean Bruel, décédé en 2003 dans des circonstances mystérieuses était un véritable personnage de roman (d’ailleurs il était marié avec la romancière, Nicole de Buron, l’auteur des Saintes Chéries). Ancien résistant, ayant connu Léon Trotski au Mexique avant de devenir, bien plus tard, l’un des soutiens du FN, Jean Bruel était un patron autocratique et dur, qui payait bien mais n’aimait pas les syndicats. À sa mort, il laisse un petit empire de quatorze Bateaux-Mouches.

En effet, la célébrissime Compagnie des Bateaux-Mouches est une institution à Paris. Elle accueille plus de 2,5 millions de passagers par an. Ce qui en fait la quatrième attraction la plus fréquentée de Paris, après la tour Eiffel, le Louvre et Beaubourg.

Jean-Sébastien Mouche : le vrai/faux fondateur des Bateaux Mouches

On pourrait intituler ce chapitre : Canular sur la Seine… L’histoire commence au bord de la Seine au printemps 1953. Une histoire qui se noue autour d’une faute d’orthographe, donne lieu à un joyeux canular et se conclut par une belle opération de communication.

Un jour qu’il se promène à la hauteur du port de Solferino, le linguiste Albert Dauzat tombe en arrêt devant l’enseigne de la compagnie des « Bateaux-Mouche » (sans « s »). Pour celui qui tient alors dans le quotidien Le Monde une chronique sur la langue française, l’occasion est trop belle de rappeler cette règle de base, qui veut que l’adjectif s’accorde en genre et en nombre au nom auquel il se rapporte.

L’erreur est sur le point d’être corrigée quand se gare devant l’embarcadère, quelques jours plus tard, la Bentley du secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques : François Albert-Buisson. Ce dernier est bien décidé à jouer un tour au pointilleux grammairien Dauzat, il a en effet une idée en tête.

Et si, pour justifier l’emploi du singulier, on expliquait que Mouche est un nom propre ? Par exemple celui du fondateur des fameux navires.

La proposition séduit Jean Bruel, le patron de la compagnie. Reste à écrire l’histoire du personnage.

Il compte pour cela sur l’imagination de son ami Robert Escarpit, professeur de littérature anglaise à la faculté de Bordeaux et billettiste lui aussi au quotidien Monde.

C’est donc sous plume que naît le fictif Jean-Sébastien Mouche. Et les blagueurs n’ont pas lésiné ! Il s’agit d’un homme aux multiples talents. Ce dernier est décrit comme proche du baron Haussmann, et ancien chef de la police secrète – d’où le nom de « mouchards » donné à ses hommes -. Il aurait créé sa flotte en 1889 afin de faciliter la circulation dans Paris. On apprend au passage qu’il n’est pas le seul de sa famille à avoir enrichi le dictionnaire : l’expression « fine mouche » aurait ainsi été inventée pour son aïeule, une favorite de Louis XV connue pour son esprit…

La bande de joyeux drilles déniche même aux puces un admirable buste à l’effigie d’un anonyme, puis dans la foulée lui invente une vie des plus plausible. Voilà Jean-Sébastien Mouche bébé, Mouche premier communiant, Mouche militaire, Mouche dans son atelier et enfin Mouche vieillard honorable digne de figurer sur les bords de la Seine. Le dossier de presse bouclé, il est envoyé à tous les journaux. La presse prend acte du jour de l’inauguration… le 1er avril 1953

C’est en effet le 1er avril 1953, qu’a lieu la cérémonie d’inauguration du nouveau bateau le « Jean-Sébastien Mouche », une soirée- croisière à laquelle le Tout-Paris est convié – jusqu’au président de l’Assemblée nationale, Édouard Herriot.

Édouard Herriot et quelques notables

Le journaliste du Monde décrira une foule de « messieurs très dignes » et de « jolies femmes parfumées » lorgnant les bouteilles de champagne pendant que des musiciens en tunique interprètent la Marche funèbre de Chopin face au buste du grand homme. Cet événement sera largement repris par les médias. Ce canular a survécu pas mal de temps, et aujourd’hui encore il arrive qu’on s’y laisse prendre.

Les plus perspicaces, se souvenant qu’on était un 1er avril, ne manqueront pas de flairer l’imposture. Le mot « mouche » s’écrira désormais au pluriel, même si son origine reste controversée. Jean Bruel devait bien cela à la grammaire. Il le reconnaissait lui-même : « Jean-Sébastien Mouche m’a évité un million de publicité à cause d’une faute d’orthographe. »

Pour nos amis Québécois, signalons qu’à Montréal, également il y a un Bateau-Mouche d’une capacité de 190 personnes qui propose cinq voyages quotidiens : quatre voyages le jour et un le soir. Le bateau est doté de deux ponts. La verrière du pont supérieur est découverte dans la journée.

Publication réalisée d’après une idée de l’ami Pierre Philipon et avec son étroite et précieuse collaboration.

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