TINTIN : A LA RECHERCHE DE LA « VRAIE » ÎLE NOIRE

Le mystère qui entoure encore et toujours les sources d’inspiration d’Hergé au sujet de L’île Noire et de son château n’a fait, depuis lors, que renforcer la fascination qu’elles exercent sur les lecteurs de Tintin, même actuellement. Leur identification et leur localisation précises ont fait couler beaucoup d’encre depuis des lustres et, aujourd’hui, les hypothèses les plus invraisemblables sont exposées, sans fondement aucun, mais avec un aplomb imperturbable, sur quantité de sites web et de blogs.

La documentation iconographique d’Hergé, riche d’au moins 20.000 feuillets, contient plusieurs photographies et des gravures représentant différents types de châteaux dans plusieurs pays, mais pas un seul document qui pourrait éventuellement se rapporter, de proche ou de loin, au château de L’Ile Noire, tel que dessiné par Hergé. Ses archives – véritable banque d’images avant la lettre – dans l’état où elles se trouvent maintenant, n’offrent, malheureusement, pas de piste et ne permettent pas de trancher la question. Plus mystérieuse est l’énigme, Plus attirante elle en devient, bien sûr…!

Un recensement rapide des Iles prétendantes et de leurs châteaux postulants respectifs s’impose ici. Les candidats le plus souvent cités sont :

L’île d’Or, face au Cap Dramont et au large de Saint-Raphaël, avec sa tour sarrasine construite au début du XXe siècle;
L’île Noire, dans la baie de Morlaix, en Bretagne, avec son phare construit au XIXe siècle.

 

L’île dYeu, face au port de la Meule, en Vendée, avec son Vieux Château édifié au XIVe siècle
La Black Isle, en Ecosse, entre Inverness et Dingwall, avec son Castle Craig, une simple tour fortifiée datant de la fin du XVIe siècle.
L’île écossaise d’Arran et son Lochranza Castle, construit au XIIIe siècle sur un promontoire au milieu du loch ayant donné son nom au château.
L’Eilean Donan Castle, construit au XIIIe siècle sur l’île de Donan, un tout petit îlot rocheux au confluent des Loch Duich, Loch Long et Loch Alsh, dans les Highlands;
Kisimul Castle, bâti au XIVe siècle sur un îlot rocheux situé dans la Castlebay, une anse de l’île de Barra, dans l’archipel des Hébrides extérieures.

Avant d’examiner les arguments avancés pour défendre les différentes aspirations aux titres d’Ile Noire authentique et de château de l’île Noire véritable, il convient de faire le point sur ce que Hergé dit et montre concrètement dans ses images. Bien entendu, seule la première version de, L’Île Noire, publiée dans les pages du Petit Vingtième entre le 15 avril 1937 et le 16 juin 1938 ou son édition en album par Casterman, fin 1938. Et non de se fier à la dernière version retravaillée par Bob de Moor.

L’île à proprement parler :

  1. Cette île est située en pleine mer; car Tintin a besoin d’un canot à moteur pour s’y rendre
  2. Mais, le soir, quand vient le vent du large, on peut cependant entendre le bruit étrange et angoissant produit par le monstre qui la hante. Ceci n’implique-t-il pas que l’île n’est, en fait, pas tellement éloignée du rivage? Par contre, ne dit-on pas aussi, qu’en mer, les bruits portent loin…?

En ce qui concerne les ruines du Château de Ben More

  1. Il s’agit d’un château médiéval; Le château de Ben More est manifestement un ouvrage de défense militaire et non pas une résidence seigneuriale de plaisance ou d’agrément.
  2. Ses tours sont rondes (pour mieux résister au tir des canons.
  3. Une des tours a au moins trois étages.

À la lumière de ces constatations assez évidentes, aucune des sept îles candidates ne peut être retenue, car:

L’île d’Or de la Côte d’Azur et l’île Noire bretonne se trouvent à une brassée de la rive, et, à marée basse, l’ile Noire peut même être atteinte à pied sec. De plus, aucune des deux n’est couronnée d’un château, voire d’une tour ronde. Difficile de faire passer une tour, même sarrasine, ou un simple phare pour un château fort médiéval, un ouvrage de défense militaire.

L’île d’Yeu est également trop proche de la terre ferme et son château, certes médiéval, ne comporte pas de tour d’au moins trois étages, comme celle dont Hergé a doté son château. En effet, celle-ci comporte, visiblement, au moins quatre meurtrières situées â des hauteurs différentes.

La Black Isle, en Ecosse, n’est en fait pas du tout une Ile, mais bien une péninsule. Son qualificatif de black lui viendrait de son apparence: recouverte d’une forêt dense de conifères, en hiver, de la rive opposée du Cromarty Firth ou du Moray Firth, elle peut facilement apparaître comme étant noire… La tour fortifiée qui subsiste du château de Craig Dhui se trouve en face du village d’Evanton. Elle est carrée, date de la fin du XVIe siècle et ne peut donc pas être confondue avec un château fort médiéval. La responsabilité de cette attribution si précise revient en fait au traducteur anglais de 1966, apparemment un peu trop zélé ou trop désireux d’inscrire l’œuvre d’Hergé, une fiction narrative, dans une réalité documentaire.

Le Lochranza Castle de l’île d’Arran a une tour carrée et sa silhouette n’évoque en rien celle de la véritable île Noire, celle née de l’imagination d’Hergé. L’attribution remonte à la visite écossaise de Bob De Moor, en quête de photos et de documentation pour la refonte de l’album demandée à l’époque par Methuen, l’éditeur anglais des aventures de Tintin.

Cependant, il se fait que ce brave Bob ne s’est pas laissé inspirer par le Lochranza Castle, mais bien par l’autre château qui existe sur Mie d’Arran, le Bradick Castle, bien moins connu des touristes. 

Le Bradick Castle

Dans son état actuel, le Brodick Castle date de la Renaissance et certains détails architecturaux, repris par Bob (la tour carrée flanquée de deux échauguettes ; l’oriel, c’est-à-dire la fenêtre en surplomb, reposant sur des corbeaux ; le parapet à créneaux et son mâchicoulis…) se retrouvent de façon très précise dans la version enrichie par Bob de Moor

Le Donan Castle est un charmant petit château qui ne ressemble en rien à la forteresse sinistre de L’île Noire et, de plus, I’ île de Donan est reliée à la rive du loch par un pont tout ce qu’il y a de plus mignon. Pas besoin d’un canot motorisé pour l’atteindre…

Le Kisimul Castle est, lui, bel et bien un véritable ouvrage militaire datant du moyen âge. Il défend l’accès du port de Castlebay, mais sa tour est carrée et bien trop basse pour pouvoir passer pour celle du château de lie Noire. En outre, il se trouve sur un îlot rocheux situé à une portée de flèche (ou d’arbalète) du rivage de Castlebay.

Après cet examen, il est clair qu’aucune des îles candidates ne correspond, de près ou de loin, à celle de l’œuvre ! Certains détails du château tel que dessiné par Hergé, peuvent, par contre, passer, avec beaucoup de bonne volonté, pour des éléments repris par le dessinateur à des châteaux existants et dont il possédait des images dans sa documentation. Ces détails sont minimes, certes, mais néanmoins caractéristiques.

À suivre •••

Publication réalisée à partir du passionnant article de Charles Dierick dans la revue Hergé n° 4 en septembre 2008

 

 

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4 commentaires


  1. À vous écouter (ou à vous lire, c’est selon), on a l’impression que Hergé était dénué de toute imagination ou de création.
    Je suis tintinophile depuis 35 ans, je possède une tintinobibliothèque d’au moins 500 ouvrages (lus, mais pas toujours approuvés).
    On a attribué à notre auteur préféré des « pompages » innombrables comme Jule Vernes, Conan Doyle, j’en passe et des meilleures!
    Des auteurs comme Bob Garcia (lu également) font leurs choux gras là-dessus…
    Je trouve cela un peu facile, surtout quand l’intéressé n’est plus là pour répondre.
    Bon, ça s’appelle un coup de gueule, mais cela ne m’empêcheras pas de continuer à vous lire!

    Répondre

    1. Vous pensez ce que vous voulez et jamais je n’ai cherchė à déconsidérer Hergé. MAINTENANT rassurez-vous vous pouvez cesser de me lire et j’en serais ravi😠 surtout je ne serais plus obligé de lire des commentaires aussi hargneux qu’infondés. Brisons là cher monsieur

      Répondre

    2. Bonjour

      Je tombe par hasard sur cet échange, et souhaite apporter mon point de vue. Je suis fan absolu de l’oeuvre de Hergé, le souffle des aventures qu’il a imaginées n’est pas prêt de s’éteindre. Ceci dit, je suis tombé par hasard sur différentes sources qui, à mon avis, montrent qu’Hergé est en fait un chineur d’images et d’histoires, qu’il monte ensuite sous forme d’aventures génialement construites. Je suis par exemple quasi certain d’avoir identifié la source d’inspiration du chateau de l’Ile noire (il y a pourtant mille et une analyses sur ce thème, toutes fausses à mon avis, mais je pense avoir trouvé ce graal au détour d’un voyage, mais je le garde égoïstement pour le moment – c’est tellement évident quand on y est, que je ne comprends pas que ce ne soit déjà pas connu de tous ?). Je suis également certain d’avoir découvert la source d’inspiration de la fusée et de plein de scènes de On a marché sur la Lune. Encore une fois, ce mode de travail n’enlève rien au mérite et au génie de Hergé. Beaucoup d’auteurs célèbres créent selon ce mode , Tarantino le revendique d’ailleurs. Un autre exemple célèbre: le générique qui défile au début de chaque épisode de la guerre des Etoiles est juste un pompage 1:1 du générique d’un nanar de science fiction des années 50 (la guerre des Etoiles est par ailleurs un bon exemple de création constituée uniquement de parcelles d’oeuvre déjà existantes (en tout cas pour la trilogie initiale épisodes 4 à 6: les pirates, la légende du Roi Arthur, l’univers de Tolkien, 2001 de Kubrik, etc).

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  2. J’aimerais réagir tant à l’article de base qu’à son commentaire, en espérant qu’on ne m’accusera pas de jeter de l’huile sur le feu.
    On connaît le souci de réalisme d’Hergé (voitures, avions, lieux et objets du quotidien) mais en ce qui concerne les lieux créés par lui, il me semble qu’il amalgame différentes possibilités pour en faire un archétype du lieu en question. Selon moi, l’Ile Noire est donc un archétype « d’île-isolée-avec-un-sinistre-château-en-ruines » qui combine différentes possibilités dont, c’est possible, celles mentionnées par Jean-Luc. C’est la même chose pour la Syldavie qui n’est ni l’Albanie, ni la Yougoslavie, ni la Bulgarie ni la Roumanie, mais un mélange de tout cela ainsi qu’on imaginait toute cette région à Bruxelles, avant guerre. Idem encore pour cette création qui représente l’Amérique du Sud de l’époque qu’est le San Théodoros.
    Un dernier mot à propos de l’inspiration « vernienne » d’Hergé. Hergé l’a toujours niée, arguant qu’il n’avait jamais lu Jules Verne. Par contre, on sait que Jacques Van Melkebeke, qui a fourni à Hergé pas mal d’idées de scénarios, était très imprégné de l’œuvre de JV. Il est donc possible, pour ne pas dire vraisemblable, qu’Hergé ait été influencé par Jules Verne à son insu! Hergé était d’ailleurs le premier à reconnaître qu’une fois qu’il avait intégré une idée dans le développement d’une aventure, il se l’appropriait totalement et oubliait d’où et de qui elle provenait.
    Je pense donc que les deux auteurs ci-dessus peuvent avoir raison.

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