LA SAGA DU TOUT PREMIER ESSAI DE TINTIN REPORTER

Publication de Stéphane Beaumort
réalisée à partir des recherches de Christian Kastelnik et de son interview de Bruno Rabourdin

C’ÉTAIT IL Y A TRENTE ANS…

Dans son livre « Tintin et les héritiers », Huges Dayez consacre un chapitre à la revue TINTIN REPORTER, dans lequel il relate sa naissance : « Le journal Tintin est mort… vive Tintin Reporter. » Il y est question d’un projet de « numéro zéro » qu’Alain Baran aurait présenté aux responsables du Groupe Ampère, lequel était l’actionnaire majoritaire de Yéti Presse. Ledit projet aurait été descendu en flammes par les gens d’Ampère, qui auraient ensuite refilé le « bébé » à leur équipe rédactionnelle à Paris, avec la parution du premier numéro de TINTIN REPORTER le 9 décembre 1988. Mais est-ce vraiment ce qui s’est passé ? Et qu’est-il advenu au juste de ce numéro zéro ? D’après ce qu’en dit Dayez, il n’aurait jamais existé qu’à l’état de projet. Pourtant, la vérité est tout autre, comme vous allez maintenant le découvrir…

LA GENÈSE DU JOURNAL

Rémy Montagne

Pour bien comprendre la genèse de TINTIN REPORTER, il faut remonter en 1987. Sur le conseil du Pape Jean Paul II, à qui il avait demandé comment se rendre utile pour la jeunesse, Rémy Montagne, président du groupe Ampère/Média Participations (mais également avocat d’affaires, militant catholique conservateur, député de droite et plus tard ministre) se mit en tête d’acheter des journaux pour y inclure un contenu culturel et intelligent destiné à des ados de moins de 15 ans, et non pas à d’anciens jeunes aimant « Thorgal » et d’autres séries renommées que l’on trouvait alors dans TINTIN.

Rémy Montagne racheta donc Le Lombard afin d’acquérir le journal TINTIN, mais s’aperçut après coup que le titre allait être perdu à brève échéance, car le contrat permettant aux Éditions du Lombard d’utiliser le nom « TINTIN » arrivait à date d’expiration. Média Participations allait donc très vite perdre le titre TINTIN. La Fondation Hergé savait qu’elle allait récupérer le titre et voulait créer son propre journal TINTIN, mais semblait avoir des difficultés à réaliser ce projet. Média Participations/Le Lombard voulait faire aboutir son projet de journal, mais ne pouvait le faire qu’avec un nouveau titre.

La Fondation Hergé rencontra donc Média Participations et leur proposa une association. Ils conclurent un mariage de raison et créèrent la société Yéti Presse afin de réaliser en commun ce nouveau journal de Tintin, se mettant d’accord pour produire un journal contenant de la BD, de la culture générale, du sport et des reportages. Il y aurait des bureaux à Bruxelles et Paris pour un seul et même journal. Media Participations/Le Lombard injecterait une partie de l’argent grâce à ses actionnaires, et Baran International Licensing financerait la part de la Fondation Hergé.

LE RARISSIME NUMÉRO « 0 »

Six mois avant la parution du dernier numéro du journal TINTIN (daté du 29 novembre 1988), un « numéro zéro » du nouveau journal, TINTIN REPORTER, portant la date du 22 mai 1988, fut réalisé en petit tirage ayant valeur de test, avec une diffusion très réduite. Sa particularité était d’être constitué nom pas d’un, mais de trois fascicules de formats et de paginations différents, pour un total de 80 pages en tout :

  • un magazine de 36 pages au format 23 x 30, orienté reportages
  • un cahier supplément de 32 pages au format 21 x 29,7, orienté bande dessinée, et contenant une histoire de dix pages sur l’aviateur Charles Lindbergh, une autre de cinq pages sur la tenniswoman Suzanne Lenglen, une nouvelle illustrée ainsi que quelques jeux ;
  • un petit journal plié de 12 pages au format 43 x 32, « Le petit reporter ».
Alain Baran, le dernier secrétaire de Hergé

Ce N°0 en trois parties de TINTIN REPORTER est rarissime, comme en témoigne le fait qu’on l’ait pris longtemps pour une rumeur infondée. Développé conjointement par les gens du Lombard et ceux de la Fondation Hergé, cette « publication de Yéti Presse S.A. » fut réalisé à Bruxelles. Alain Baran, « éditeur » de la revue, en signait l’éditorial. Chacun des trois cahiers portait une inscription tamponnée « Matériel confidentiel – Sous embargo – Prière de ne pas diffuser – Exemplaire n° », et un numéro écrit au stylo (l’exemplaire présenté dans les scans qui accompagnent cet article est le N°271).

 

Les rares apparitions de Tintin dans ces trois fascicules (trois ou quatre vignettes dans le magazine, rien dans le cahier BD, et une vingtaine de vignettes des personnages de Hergé dans le « Petit Reporter ») étaient davantage un prétexte illustratif au lancement de ce sous-GÉO/ÇA M’INTÉRESSE pour les jeunes, encore maquetté très années 80, que la marque d’une volonté de donner une suite au journal TINTIN.

Outre ce n°0 triple, il semblerait que des n°0 distincts aient été élaborés à Paris et à Bruxelles par les deux groupes. Ainsi, au siège français (situé au 11 rue Duguay-Trouin, dans le 6e arrondissement de Paris) seront réalisés plusieurs essais de maquettes de TINTIN REPORTER n°0, notamment celle d’une formule mensuelle de 40 pages avec une couverture différente (dont seules les 7 premières pages furent imprimées), mais aussi une maquette de n°1 totalement différente de la version définitive, en papier épais glacé de 16 pages. On verra aussi passer un autre TINTIN REPORTER daté du 8 décembre 1988 et venant de Belgique.

L’HEBDO DÉFINITIF

Lorsque paraîtra le premier numéro officiel de TINTIN REPORTER, seuls deux cahiers seront conservés dans la formule définitive : une revue hebdomadaire de 36 pages mêlant articles et BD, et le supplément encarté « Le Petit Reporter ». Vendu au prix de 10 FF (ou 40 FB), TINTIN REPORTER était élaboré entre Paris et Bruxelles, mais sa rédaction principale se trouvait à Paris. Et si une quinzaine de couvertures mirent en vedettes les personnages d’Hergé, Tintin et son univers servaient surtout de caution morale et de locomotive à une publication qui était davantage un magazine de reportages qu’une revue de BD proprement dite.

Le premier rédacteur-en-chef de la revue, Jean-Marc Thévenet, était scénariste, éditeur et ancien rédacteur-en-chef de PILOTE ; il fut rapidement remercié et remplacé par Patrick Lesueur, illustrateur et dessinateur de bande dessinée, qui ne fit pas long feu. La revue souffrait des mauvaises ventes des premiers numéros, et Aline Seeuws, sorte de « super » rédactrice-en-chef supervisant les rédactions de Paris et de Bruxelles, et qui rendait directement des comptes à Baran pour la Fondation Hergé et à Montagne pour Média Participations, proposa à Bruno Rabourdin, alias Brunor (auteur de BD et co-fondateur de la revue PLGPPUR), d’endosser la fonction de rédacteur-en-chef, ce qu’il accepta aussitôt.

UN RATTRAPAGE SALUTAIRE

Bruno Rabourdin

Rabourdin fut obligé de constater que TINTIN REPORTER avait été victime jusque-là d’un certain amateurisme dans sa conception (avec pour preuve de nombreuses erreurs de pagination et de foliotage) ; il prit donc quelques décisions en matière de mise en page et de corrections d’erreurs récurrentes faisant fuir le lecteur. Il remarqua également que les auteurs ne se rencontraient pas entre eux, qu’il n’y avait ni cohésion ni esprit de groupe, et surtout qu’il fallait rendre vivant l’espace BD du journal. Une réunion de rédaction hebdomadaire pour préparer les sujets fut lancée avec succès ; peu nombreux au départ, les auteurs prirent confiance et les réunions furent un vrai succès. Le journal ne fonctionnait plus à flux tendu car il y avait désormais un « stock » d’avance d’articles et de bandes dessinées. Se souciant pour les auteurs, Rabourdin obtint également gain de cause auprès de la direction afin qu’ils soient payés selon les tarifs en vigueur, et cela que leur travail soit publié ou non.

Outre ces changements majeurs, Rabourdin proposa également trois rubriques qui furent acceptées : « Les archives de la fusée lunaire » (avec un numéro anniversaire pour les 20 ans d’Apollo 11), « Le concours de l’histoire de l’invention » (le lecteur devait trouver laquelle parmi quatre pages traitant de la même invention présentait la vraie version), et « L’info par la bande », une rubrique abordant l’actualité la plus récente sous forme de BD. Enfin, l’hebdomadaire passa à 44 pages dès le n° 26, mais sans changement de prix.

LA FIN DE LA REVUE

Malgré toutes ces excellentes initiatives, et bien que les chiffres des ventes aient remonté, Rabourdin sentit vite que quelque chose était en train de changer. Ce fut tout d’abord Alain Baran, qui lui signifia que les ventes ne remontaient pas assez fort. Puis Jean-Loup Dehers, un nouveau directeur arrivé directement d’Euro Tunnel sans aucune connaissance du monde de la BD, et qui en pur gestionnaire décréta que les dépenses étaient trop importantes, et qu’il ne croyait pas en la BD comme moyen de faire des bénéfices. Très vite, Baran comme Montagne évoquèrent la fin proche de TINTIN REPORTER en promettant à Rabourdin de lui retrouver un emploi, l’un à la Fondation Hergé, et l’autre chez Dargaud. Mais il était écœuré car les ventes redémarraient, le journal avait trouvé ses marques et son lectorat, et on allait tout stopper.

Rabourdin tenta de convaincre la direction (citant même l’exemple des modestes débuts d’Astérix chez Dargaud) mais rien n’y fit. Au désespoir de tout le monde, et surtout des auteurs (qui s’étaient investis en produisant d’avance quantité de planches), TINTIN REPORTER cessa finalement de paraître avec le n° 34 du 28 juillet 1989, un numéro double spécial vacances vendu 18 FF et comportant pas moins de 84 pages. En septembre, le titre était remplacé par HELLO BÉDÉ, « L’Hebdo des 7 à 77 », un hebdomadaire de 48 pages (puis 40) publié par Le Lombard et très semblable à l’ancien hebdomadaire TINTIN, mais duquel le jeune reporter était désormais absent. Privée de son héros fondateur, cette publication s’arrêtera avec le 197e numéro, daté du 29 juin 1993, mettant ainsi fin à une aventure éditoriale vieille de près d’un demi-siècle.

Pour découvrir 2 cahiers complets du numéro « 0 »,

cliquez sur les 2 images ci-dessous :

Merci à Christian Kastenik qui a bien voulu que je partage pour ce blog le résultat de ses recherches ainsi que ses différents scans.

 

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