QUAND HERGÉ GOMMAIT L’ASPECT RELIGIEUX DE SES BANDES DESSINNÉES

Il porte un casque colonial et sa barbe broussailleuse est aussi blanche que sa soutane. Vous l’avez reconnu, il s’agit du Missionnaire. Dans l’imaginaire collectif, la figure du missionnaire frise le cliché. Hergé était sensible à la vocation de ces hommes, auxquels il rendit hommage dans Tintin au Congo, paru pour la première fois en 1930 dans Le Petit Vingtième. Ce n’est pas un personnage récurrent, comme peut l’être le reporter, mais une figure marquante. Le missionnaire, lui, soigne et éduque, mais c’est également un aventurier, qui inspire des auteurs dont beaucoup sont passés par le scoutisme. Mais à partir des années 50/60, l’imagerie évolue. La décolonisation est passée par là. Le monde a changé. L’Église aussi. Tout comme le neuvième art, le missionnaire s’efface du paysage.

LE DESTIN DU PÈRE FRANCOEUR : UN MISSIONNAIRE REMPLACÉ PAR UN ETHNOLOGUE !

En témoigne le destin du Père Francoeur, rencontré en traîneau sur la banquise par Jo, Zette et Jocko, autres héros de Hergé, dans Le Stratonef H. 22. Les petits héros, sont contraints d’atterrir en catastrophe au Groenland. Ils y sont secourus par un Esquimau qui leur dit avoir appris le français avec un missionnaire, et leur propose de les emmener chez ce dernier. Après diverses péripéties, ils parviennent à la mission, où les accueille le bien nommé Père Francœur.

Conformément à l’imagerie traditionnelle des régions polaires, ce dernier arbore une barbe et porte une soutane noire sous son anorak.

Ici encore, Hergé ne donne à voir que quelques bâtiments dans le lointain, mais qui suffisent à insinuer que les lieux sont comme une oasis de civilisation au cœur des immensités enneigées. Le missionnaire est toujours présenté comme un homme d’action, qui sait se servir d’une radio, pilote un petit avion afin de visiter ses ouailles, aide à réparer le train d’atterrissage du prototype, et propose même de ramener l’appareil endommagé en Belgique. Comme dans Tintin au Congo, le service des malades est brièvement mentionné, le congréganiste étant appelé au chevet d’un enfant. Mais cette fois, peut-être pour complaire au très catholique Cœurs Vaillants, on trouve une allusion à la conversion des païens, puisqu’un Esquimau apprend au Père Francœur qu’un vieux sorcier demande à être baptisé avant de mourir…

Publiée à l’origine en noir et blanc dans Cœurs Vaillants en 1938, puis reprise en bichromie dans Le Petit Vingtième, elle sera mise en couleurs en 1949 dans le Journal Tintin.

Lors de la publication en album, en 1952, Hergé aménage certains textes et dessins et fait tout bonnement disparaître le personnage du missionnaire ! Dans le deuxième tome, intitulé Destination New York, le Père Francoeur est remplacé par une figure alors plus contemporaine de l’aventurier en mission dans les terres lointaines : le professeur Nielsen, ethnologue de son état.

Le personnage arbore toujours une barbe noire, mais il porte un pantalon et de hautes bottes, pilote un petit avion, et soigne même les enfants, mais il a troqué sa soutane noire contre un anorak vert ». Et s’il est encore appelé au chevet du vieux sorcier Iriakouk, ce n’est plus pour le baptiser. Le dessinateur ne manque pas de laïciser aussi les bâtiments en bois érigés au Pôle Nord, en faisant disparaître la croix qui les surmontait. Il ne se montre toutefois pas assez vigilant, puisqu’il a omis d’ôter la croix qui surmonte le bâtiment principal à la page 29.  Hergé estimait sans doute, qu’en ce début des années 1950, la figure du scientifique était devenue plus séduisante pour la jeunesse que celle du missionnaire. Si son rôle dans l’intrigue reste identique, toute référence à l’évangélisation est évacuée. Ce n’est plus à la mission que Jo et Zette sont conduits, mais à un simple camp. Hergé préfère jouer la carte de la modernité scientifique plutôt que celle de la religion.

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4 commentaires


  1. ça s’appelle la dechristianisation , oubliez vos racines.

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  2. Je suis très étonné de lire ceci. Dans mon album « Destination New York », le Père Francœur est bien présent.

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    1. de quand date votre album ? si je comprends bien, ce sont ceux édités avant 1952 qui comportent le père Francoeur. Si tel est le cas, votre album vaut son pesant d’or !

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    2. Votre album a dû être publié entre 1952 et 1971, date de la disparition de père Francoeur.

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