L’HUMOUR DE HERGÉ DANS LE LOTUS BLEU

LE CONSUL DE POLDÉVIE : UN GIGANTESQUE CANULAR !…Vous vous souvenez certainement de la séquence où un petit homme barbu, portant des lunettes noires, qui ressemble à Tintin, vient fumer au “Lotus Bleu”. Ce fumeur d’opium, nous avons tous pensé (et Hergé l’avait fait pour ça) qu’il s’agissait de TINTIN. Mitsuhirato (qui le fait empoigner brutalement par ses sbires) en était persuadé et nous aussi. Or il n’en est rien ! Ce brave homme, kidnappé par Mitsuhirato, se révèle être tout simplement le Consul de Poldévie.

C’est là que le gag commence. Car la Poldévie en fait n’a jamais existé, même si on pourrait croire qu’elle est voisine de la Syldavie aux fins fonds des Balkans !

UNE ÉNORME CANULAR POUR RIDICULISER L’ASSEMBLÉE NATIONALE

En fait, pour ne rien vous cacher, il faut que vous sachiez cependant que la Poldévie a quand même existé ! Mais quelques jours seulement à la faveur d’un gigantesque canular que l’on pourrait qualifier de “géopolitique”. Voyons cela en détail :

À Paris en mars 1929, des députés de gauche reçurent un appel leur demandant d’intervenir en faveur des malheureux Poldèves opprimés.

Le 13 Avril 1929, le journal “L’Action Française” fait ses gros titres sur “Le drame Poldève”, avec des manchettes du genre : “…un peuple opprimé réclame son droit à l’existence”, “Il faut tarir l’écoulement du sang poldève”, etc… Enfin le style habituel des journalistes qui savent si bien faire “monter la sauce”.

Ça devient très vite la “mono-nouvelle” (imaginons cela aujourd’hui avec les chaînes d’info en continu…) qui agite le bocal politique. Aussi sec de nombreux députés de tous bords, de gauche, de droite, du milieu, d’en haut, d’en bas, etc…se relayent à l’Assemblée Nationale pour défendre les ”légitimes revendications -comme on dit dans ce milieu là- du peuple Poldève”.

On est même à deux doigts de saisir la Société des Nations (l’ONU de l’époque). En fait, il s’agissait d’un canular de grand qualité monté par le monarchiste Alain Mellet afin de ridiculiser le parlement. La réussite dépassa toutes ses espérances. Près de 400 journaux en firent état dans le courant des mois d’avril et mai 1929. Hergé qui travaillait au “Vingtième Siècle” a bien sûr appris la nouvelle. Il a du bien rigoler ! Et sans doute a-t-il voulu faire un clin d’œil en remettant ça dans “Le Lotus Bleu”.

UNE LETTRE GRANDILOQUENTE…

J’ai retrouvé (Merci Google) la fameuse lettre, écrite comme il se doit dans un français approximatif mais néanmoins grandiloquent. J’espère que comme moi, elle vous fera sourire :

« …Monsieur le Député,

C’est un cri à votre pitié et à votre justice que nous faisons entendre en vous suppliant de laisser toute votre attention sur les choses qui suivent.

En plein XXe siècle de lumière et de Droit, près de cent milles infortunés poldèves, esclaves modernes, halètent sous le joug de quelques dizaines de grands propriétaires terriens. Femmes, vieillards, enfants (parce que les hommes travaillent dans les usines et dans les entreprises agricoles d’autres pays) mènent une vie misérable de bête. Aucun secours pour eux si la délivrance ne vient pas de la conscience mondiale que nous venons chercher dans votre cœur !

Certainement, nous ne sommes pas les amis des républiques soviétiques, surtout l’Ukraine par qui nous avons eu trop de souffrances, mais un pareil état de vie ne serait pas possible chez eux depuis la révolution. Donc, Monsieur le député, nous venons vous dire : aidez-nous ! Nous ne demandons par le plus petit secours en argent, mais seulement votre éminent appui moral par une lettre pour notre dossier que nous voulons présenter le mois prochain à la troisième sous-commission de la commission des droits des minorités de la Société des Nations.

Dans ce commencement de XXe siècle qui a vu éclater grandiosement le triomphe de la paix perpétuelle et de la fraternité à toujours, il faut effacer les dernières tâches immondes. La France de 1793, qui avec son glaive flamboyant a piétiné les tyrans et les rois, peut nous arracher entre les griffes des grands propriétaires affamés de sang poldève !

Oh ! Merci, Monsieur le Député, pour votre réponse qui ira à Genève avec celle des autres collègues du parlement de la grande France de la révolution !…« 

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