TINTIN ET LES FAUX MONNAYEURS

Contre quoi Tintin lutte-t-il dans l’Île Noire, qui paraît peu avant-guerre, en 1938, alors que les bruits de bottes commencent déjà à se faire entendre outre-Rhin ?

Il lutte contre des trafiquants internationaux de faux billets, dont les faux paraissent tellement vrais qu’ils sèment le doute sur l’ensemble des billets en circulation, conformément à l’adage la mauvaise monnaie chasse la bonne. Leur organisation écoule des milliers de fausses coupures en Angleterre, aux Pays-Bas, en France, en Belgique… Et qui est à leur tête ? Le docteur Müller, ce qui ne laisse que peu de doute sur les origines et les motivations de son organisation criminelle.

Le point de départ de cette nouvelle aventure de Tintin a été fourni à Hergé par les nombreuses affaires de fausse monnaie qui firent la une des journaux avant la dernière guerre. Faux dollars, fausses livres sterling, faux francs, faux bons du Trésor… les faussaires de l’époque s’en donnaient à cœur joie !

Le problème était d’actualité, puisque depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l’impression et la distribution de fausse monnaie avaient connu un développement considérable, favorisées qu’elles étaient par les progrès des moyens de communication et particulièrement de l’aviation et par les techniques d’impression qui avaient beaucoup évolué, encourageant ainsi la contrefaçon.

Une convention internationale, regroupant de nombreux pays, s’était même réunie à Genève en avril 1929 pour tenter d’enrayer les activités des faussaires.

De plus des agents soviétiques et nazis tentaient en cette période d’instabilité politique de déséquilibrer le monde libre en introduisant de fausses devises. Les nazis ont à cette époque certainement imprimé plus de livres sterling que la banque d’Angleterre, sans pour autant parvenir à ruiner l’économie britannique.

Mais ce qu’Hergé décrit dans cet album, et qui passe totalement inaperçu aux yeux de la plupart des lecteurs de 7 à 77 ans aujourd’hui comme depuis des décennies, n’a rien d’une invention ! En 1926, une bande de faux monnayeurs est arrêtée aux Pays-Bas en possession de sacs entiers de faux billets de 1000 francs. Une enquête diligentée par la Société des Nations arrive à remonter à la source de fabrication des billets, jusqu’en Hongrie, un des pays vaincus par les Alliés en 1918 ! L’enquête démontre que le gouvernement hongrois est impliqué dans ce trafic, et que l’Allemagne et l’Autriche ont soutenu l’opération. Le but ? Punir la France, qui reçoit l’essentiel des dommages de guerre dus par les vaincus aux vainqueurs, et a pu aussi agrandir son territoire en récupérant l’Alsace et la Lorraine.

L’histoire, comme souvent, bégaye. Les nazis tenteront eux aussi pendant la guerre de déstabiliser l’économie anglaise en fabriquant de la fausse monnaie, puis en la parachutant au-dessus du pays : c’est l’opération Bernhard. Finalement, près de 10 millions de billets seront imprimés, représentant 134 millions de fausses livres sterling. Mais ils serviront uniquement à financer des achats de matières premières et de fournitures sous embargo, ou encore à payer des agents allemands à l’étranger.

Plus récemment encore, les États-Unis ont montré du doigt la Corée du Nord, l’accusant de produire des faux dollars plus vrais que nature. Il faut dire qu’avec la politique de quantitative easing menée par la Fed, imprimer en douce quelques milliards de faux dollars et les noyer dans les centaines de milliards de création monétaire annuels est plutôt tentant…

En tout cas, une fois de plus, c’est l’intervention du jeune reporter Tintin dans L’Ile noire qui sonnera l’échec de l’opération de déstabilisation des économies occidentales orchestrée par le docteur Müller. Une intrigue que bien des lecteurs de Tintin, même passionnés, ne perçoivent qu’après y avoir été sensibilisés. Müller, qui deviendra par la suite un de ses grands ennemis, puisqu’on le retrouve dans trois autres albums de ses aventures, toujours au service de dictatures et de causes douteuses.

 

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