HERGÉ PHILANTHROPE : QUAND IL VOULAIT LE BONHEUR DES ENFANTS DÉSHÉRITES (1948)

Le 14 septembre 1948, Raymond Leblanc organise une petite fête à l’occasion du deuxième anniversaire du Journal Tintin. :

« Tous les invités seront honorés et charmés de vous rencontrer, ainsi que Madame Hergé. Les hostilités débuteront à 18 heures » écrit-il à Hergé.

Hergé assiste à la fête, mais quelques jours plus tard, ayant présumé de ses forces, il part se reposer à l’Abbaye de Scourmont, chez les moines trappistes, en compagnie de son ami Marcel Dehaye. Et il faut croire qu’il s’y ennuie sérieusement si l’on en juge par les extraits de ses lettres adressées à Germaine son épouse : Ici, ça manque un peu d’action…C’est très beau mais les dialogues sont forts longs (il fait allusion aux interminables oraisons des moines)… Au réfectoire, il observe aussi que ses voisins de table sont de dignes prêtres qui bouffent comme des cochons… Je me demande ce que je fous là…

Mais bien qu’un tantinet irrespectueux, il n’oublie pas pour autant ses valeurs chrétiennes… Pour preuve la lettre qu’il adresse à Raymond Leblanc (le créateur du Journal Tintin) le 8 octobre 1948. Cette lettre évoque l’aspect social du dessinateur, à savoir la création d’un home Tintin en bord de mer et des cadeaux de Noël pour les enfants déshérités. Émouvant témoignage d’un aspect intime et généreux de Hergé. 

Cher Monsieur Leblanc,

Cette petite fête du 25 septembre dernier, qui réunissait l’équipe du journal pour célébrer le deuxième anniversaire de sa fondation, vous ai-je dit h quel point je l’ai trouvée sympathique? Depuis, j’ai beaucoup pense au rôle social qu’un hebdomadaire comme le nôtre pourrait jouer, dans le domaine de la jeunesse plus précisément.

Si « Le Soir » possède sa « St. Nicolas des Petits Déshérités », je ne vois pas pourquoi « Tintin » n’offrirait pas aux enfants pauvres son « Arbre de Noël » par exemple? Afin de pouvoir accueillir, le 25 décembre, une vingtaine d’enfants, triés sur le volet de la misère, at leur offrir un goûter, des attractions, des vêtements et des jouets, nous ouvririons une liste de souscription dans le journal, en tête de laquelle figurerait les fondateurs et les rédacteurs pour une somme importante. (Il va sans dire que ma collaboration, en cette affaire, serait sérieuse, et que ma femme se ferait un plaisir d’accorder à cette petite fête tous ses soins).

Mais – J’y insiste – où cette initiative montrerait son aspect social, c’est dans la participation que nous solliciterions de nos jeunes lecteurs. Nous leur demanderions de sacrifier un plaisir, une friandise, pour venir en aide ceux qui n’ont rien. Au besoin pourrions-nous récompenser les plus généreux d’entre les donateurs en les invitant à la fête où clowns et comédiens se feraient applaudir.

Je caresse d’autres projets encore (mais il convient de commencer prudemment et modestement), par exemple la création d’un home « Tintin » qui abriterait une vingtaine de petits malheureux durant les vacances d’été. Tant, de choses sont à faire dans ce domaine, et je crois que notre Journal doit prendre des initiatives de cette sorte. C’est un devoir pour nous-mêmes et pour nos lecteurs: la jeunesse portant secours à la jeunesse.

Si l’idée de l’arbre de Noël vous agrée, et Je le souhaite de tout cœur, il conviendrait de l’étudier ensemble, et assez rapidement, parce que la fête de Noël est proche et qu’un Éditorial devrait présenter la chose au plus tôt.

Voulez-vous m’écrire à ce sujet ici: Je compte rester à la Trappe Jusqu’à mercredi ou Jeudi prochain.

Cordialement vôtre,

Abbaye Notre Dame de Scourmont

FORGES-lez-CHIMAY.

Et voici la réponse, prudente et dilatoire que lui fit Raymond Leblanc, ce dernier était vraisemblablement davantage un homme d’affaires plutôt qu’un philanthrope : 

le 11 octobre 1948

Cher Monsieur Hergé,

J’accuse bonne réception de votre lettre du 8 courant et vous en remercie.

Tout à fait d’accord avec vos aimables propositions et je me ferai un plaisir d’envisager avec vous leur prochaine application.

Permettez-moi toutefois, de vous signaler que la mise au point des « arbres de Noël », n’est plus possible pour des questions de délais.

Par ailleurs, J’ai déjà pris contact avec des maisons d’œuvres des marolles pour faire appel à la générosité des lecteurs en faveur des petits déshérités marolliens. Cette annonce passera dans le courant du mois de novembre.

Quant à la question d’un home Tintin, également d’accord avec vous. À ce sujet, d’ailleurs, nous adressons régulièrement des dons à des homes du Littoral, et je pense sincèrement, que Tintin doit d’abord asseoir sa situation bien fermement sur tous les plans avant d’aborder le domaine de la pure philanthropie. N’est-ce pas votre avis ?

Je souhaite de tout cœur que vous jouissiez d’un parfait repos et que vous nous rameniez bien vite une santé florissante.

Dans l’attente du plaisir de vous voir, je prie d’agréer, Cher Monsieur Hergé, l’expression de mes sentiments très cordiaux.

 

Ce n’est qu’en décembre 1949 que Raymond Leblanc mettra en oeuvre (fort discrètement) l’idée de Hergé d’un Arbre de Noël Tintin :

 

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