TINTIN ET LE THERMOZÉRO (1960)

Tintin et le ThermoZéro est l’esquisse d’un album devenu mythique pour les Tintinophiles. Son histoire reste assez méconnue. Mais le projet, une histoire d’espionnage sur fond de Guerre froide, n’aboutira jamais, car le sujet s’apparentait en de nombreux points à L’Affaire Tournesol.

Qu’est-ce que le Thermozéro ?

Tout part d’un article du magazine Marie-France, paru en 1957. Le journaliste Philippe Labro révèle le cas d’une famille américaine qui devient radioactive après avoir ingurgité une pilule inconnue.

En réalité, ces braves citoyens étaient devenus, à leur insu, des cobayes d’expériences menées par l’armée en ces années-là. Lorsque le scandale éclata, tout fut entrepris pour l’étouffer (ce qui arriva)… Hergé fut très impressionné par cette mésaventure. Dans ses notes, on a retrouvé : « Un flacon (ou tout autre objet) contenant un produit mortel (pilules atomiques ? Voir Marie-France) a été emporté (par erreur) par quelqu’un. Tintin poursuivra le bonhomme et le rejoindra au moment où le produit en question allait commencer ses ravages« .

Récit d’espionnage sur fond de guerre froide, Tintin et le Thermozéro avait sa place dans cette période où Hergé tutoyait les sommets. Un premier synopsis est ébauché sous le titre « La boîte de Pandore ».

Une course-poursuite hitchcockienne

Mais Hergé est débordé, et il ne parvient pas à développer cette idée de départ. Il y revient toutefois près de deux ans plus tard en demandant à l’un de ses collaborateurs, Jacques Martin, l’auteur de la série Alix, de densifier son synopsis. Le résultat ne le satisfaisant pas, il sollicite Greg, scénariste de Achille Talon, alors chargé de superviser les dessins animés inspirés des aventures de Tintin.

Payé 50 000 francs belges, comme s’en souvient Roger Leloup, ex-collaborateur des Studios Hergé, Greg va écrire deux variantes : la première intitulée « Les pilules », la seconde « Le Thermozéro ». La structure du récit est celle d’une course-poursuite hitchcockienne.

Désireux de prouver sa valeur à Hergé, Greg lui ficelle sur cette base une solide histoire d’espionnage sur fond de Guerre froide. Il y est question d’une pilule radioactive, capable d’enflammer l’air… (Ce composé chimique, le Zero heating, peut déclencher une forte chaleur là où il n’y a pas d’oxygène, comme sur la Lune. Activé sur Terre, il embraserait les molécules de l’air. « Où se trouve-t-il maintenant, cet échantillon à côté duquel une bombe H n’est qu’un inoffensif pétard ? » lance Tintin dans les dialogues du projet… qu’un chercheur glisse à son insu dans la poche de l’imperméable de Tintin, juste avant de mourir après un accident de voiture provoqué par des espions.

Hergé s’empare du scénario de Greg, le retravaille, puis démarre les premières planches. Mais très vite, l’auteur belge se sent prisonnier de cette histoire qui n’est pas la sienne.

Des esquisses ont néanmoins été réalisées par différents dessinateurs des studios et par Hergé lui-même. « …Je me souviens, j’ai dessiné une Volkswagen dedans, parce que l’histoire démarrait par un accident de voiture. Mais Hergé a fini par abandonner, il préférait mener ses propres histoires. »

Au total, huit planches de Tintin et le Thermozéro ont été ébauchées par Hergé avant qu’il ne délaisse ce projet et se lance dans Les Bijoux de la Castafiore, son album le plus introspectif. Mais celles-ci comptent parmi les plus beaux crayonnés jamais réalisés par l’auteur, selon les spécialistes.

Hergé et Tibet, devant les crayonnés du Thermozéro en février 1961

Hergé va y croire, donc, mais pas longtemps. Il saborde l’amorce de l’histoire, que Greg a fait commencer à Naples, afin d’attaquer avec la scène de l’accident de voiture. Il n’apprécie pas non plus l’épilogue révélant que l’inventeur du Thermozéro n’est autre que le professeur Tournesol.

Surtout, il étouffe dans un scénario qui n’est pas de lui, comme il le confiera à Benoît Peeters :

« …Je me sentais prisonnier d’un carcan dont je ne pouvais me défaire. Or, j’ai besoin d’être constamment surpris par mes propres inventions…« 

Si l’extrême rigueur de son style ligne claire ne l’indique pas, Hergé est d’abord un « feuilletoniste dans l’âme« , comme le rappelle Benoît Peeters :  » Son processus de création s’apparentait à la croissance du lierre qui suit les aspérités du mur et bifurque selon l’ensoleillement. Il n’aimait pas vagabonder derrière les idées des autres. » Le scénario de Greg va s’avérer « trop ficelé, trop construit, trop imbriqué pour être déconstruit », poursuit l’auteur du Monde d’Hergé (Casterman, 1990).

Un scénario qui le désarçonnait

Le père de Tintin entretenait alors des relations complexes avec les membres de son équipe. « …Il avait une très haute estime de ce qu’il faisait, se souvient Roger Leloup, 81 ans, l’auteur de Yoko Tsuno. Si nous l’aidions pour les décors, les accessoires, jamais il n’aurait laissé Tintin entre les mains d’un autre. Un jour, Jacques Martin et Bob de Moor avaient profité de son absence pour réaliser une planche de Tintin afin de lui montrer qu’ils en étaient capables. À son retour, Hergé est entré dans une de ces colères : “Quand je ne suis pas là, on ne dessine pas Tintin !”

LA FAUSSE PLANCHE DE TINTIN : L’HISTOIRE D’UNE MAUVAISE BLAGUE.

« Ce scénario le tirait vers l’arrière, l’empêchait d’évoluer alors qu’il voulait repartir de zéro, estime Benoît Peeters. C’est l’époque où il quitte sa femme, se passionne pour l’art contemporain, fréquente des gens plus jeunes avec sa nouvelle compagne, Fanny. Hergé ne veut plus faire Tintin comme avant. Il perd cette foi première qui fait les grands conteurs. »

Une publication devenue introuvable

Le projet est de nouveau mis de côté : en 1960, un vol de bijoux appartenant à Sophia Loren lui inspire un autre récit – plus ambitieux puisque respectant les trois unités du théâtre (temps, lieu, action). Ce sera Les Bijoux de la Castafiore. Mais Hergé n’oublie pas l’idée du Thermozéro, pensant la recycler pour une aventure de Jo, Zette et Jocko. Celle-ci ne verra pas plus le jour.

Une malédiction pèserait-elle sur cette non-histoire ?

« Ce serait une erreur qu’elle ne soit jamais publiée sous une forme ou une autre« , plaide en tout cas Philippe Goddin. La veuve du dessinateur, Fanny Rodwell, s’est longtemps opposée à tout projet éditorial au motif que son mari n’avait pas réussi à terminer ce récit de son vivant. « Je suis certain que s’il avait pris le temps de trouver une bonne dynamique narrative, il en aurait fait une excellente histoire« , affirme Philippe Goddin.

Rassemblées par Benoît Peeters, les 8 planches crayonnées de Tintin et le Thermozéro et l’ensemble du matériel préparatoire ont pourtant été déjà publiés. C’était en 1989, dans la collection ROMBALDI L’Univers d’Hergé en 7 volumes. Plus précisément dans le tome 6 : projets, croquis et histoires interrompues. Mais c’était à une autre époque.  L’éditeur, Rombaldi, a depuis fermé boutique.

Encrage par Yves Rodier d'une page du Thermozéro
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