VIDÉO : LE LIVRE QUI RÉHABILITE LA CASTAFIORE

Lorsque l’on parle avec une femme des aventures de Tintin, elle ne nous parle jamais de la Castafiore qui présente un visage trop éloigné de l’image qu’une femme voudrait offrir à ses amis… Et pourtant, c’est une femme, une journaliste belge, Mireille Moons, qui nous offre un passionnant ouvrage sur la Castafiore.

Rassurez-vous, elle ne va pas vous obliger à croire que Bianca est une femme admirable, jolie et plaisante… Elle ne va pas, non plus, vous parler d’un castrat inconnu comme l’a fait Albert Algoud… Elle va vous avouer que, pour elle, la Castafiore est, avant toute chose, un des personnages des aventures de Tintin qui l’a fait rire aux larmes et elle a voulu nous communiquer cette joie, en étudiant de plus près cette chanteuse d’opéra, cette diva odieuse et incomprise…

Éditeur Moulinsart : 2006 – Format : 22.4 cm x 22.6 cm – Broché – 141 pages

Alors, dans ce livre richement illustré, nous voilà partis à sa découverte… Nous passerons d’une chanteuse à une femme superficielle, puis une femme courageuse fera son apparition, prenant ses responsabilités pour sauver son ami Tintin, enfin, il y aura celle qui est devenue un des personnages clefs des aventures dessinées et racontées par Hergé. Dans les Bijoux et les Picaros, elle n’est pas réduite aux seconds rôles, elle est, sans conteste possible, un personnage à part entière…

Mireille Moons va nous parler garde-robe, bijoux, chaussures de la diva, et, même si ça peut vous paraître très féminin, vous verrez que bien illustré le sujet passe très bien et qu’il est même amusant…

Il est intéressant aussi de voir que la Castafiore est présente dans certains albums sans apparaître, seulement par le chant… Dans Tintin au Tibet, celui où Tintin est parti à la recherche de son ami Tchang, c’est la radio qui permet la présence de Bianca… Oui, décidément, les liens de l’amitié sont forts chez Hergé…

Cet ouvrage est jubilatoire retrace le parcours de la Castafiore au terme de trois décennies d’une carrière on ne peut plus triomphale. L’histoire de cette cantatrice d’exception reflète l’évolution sociale des femmes et de la mode de son temps : Maggy Rouff, Christian Dior, Coco Chanel, Roger Vivier, et bien d’autres, sont au rendez-vous. L’auteur montre aussi avec sensibilité que la vie affective d’Hergé n’est pas étrangère à la transformation de la diva, soudain rajeunie, plus féminine. Vision caricaturale de la chanteuse d’opéra, le Rossignol milanais se mue en une femme certes capricieuse, exclusivement vouée à son art, mais aussi en une battante entreprenante et sympathique capable de clouer le bec aux dictateurs et de s’émouvoir de ses retrouvailles avec Haddock. Mireille Moons décode, avec perspicacité et une joyeuse ardeur, cet art du chant doublé d’un art de vivre que nous offre généreusement Bianca devenue la rivale de la Callas. Un livre à lire, absolument !

LE TÉMOIGNAGE DE MIREILLE MOONS

Mireille Moons

Je suis née un 10 janvier en fin de décennie, comme Tintin. Je suis bruxelloise et journaliste, comme Tintin. Tintin est incapable de devenir adulte, moi pareil. La comparaison s’arrête là. Tintin est un garçon de 29, je suis une fille de 49. De plus, je tiens à préciser qu’entre Tintin et moi, au fond, il ne s’est jamais rien passé. Sa tête de Bécassine à houppette glaçait mon imaginaire. En plus je lui jalousais son chien. Un type bien ce Milou. Pensant à lui, en revanche, il m’arrivait de frissonner.

J’ai pourtant toujours adoré les albums de Tintin : beaucoup pour le rictus de la momie, la cave du château ou l’épeire diadème, énormément pour un proverbe syldave, une mouche cousue ou un oncle Anatole, passionnément pour Hergé. Bref, pour rire et en re-rire encore, avec lui.

Quand éclata L’Affaire Tournesol, bonne camarade, je savourai la glorieuse métamorphose du Rossignol milanais, partageant avec Irma les coulisses de ses exploits. Puis vinrent Les Bijoux de la Castafiore. On a beaucoup et magnifiquement écrit sur cet album. Mais, de la cantatrice, on a étourdiment, abondamment mal parlé : malentendu inévitable, car même son créateur, et c’est le plus paradoxal, semble vouloir ignorer le vrai statut de Bianca, celui d’héroïne.

La Castafiore est une grande dame. Si on ne la pressent pas dans Le Sceptre d’Ottokar ou Les 7 Boules de cristal, elle se dévoile en Bordurie, elle maintient le cap dans Coke en stock, elle triomphe à Moulinsart, elle est diva chez Tapioca. Princesse des cœurs de la BD, Bianca n’est pas un personnage pour salon de coiffure. Elle est au contraire la référence féminine d’Hergé. La Castafiore c’est lui. Comme à son insu, il en a fait un archétype : la Castafiore c’est moi, la Castafiore, c’est vous, la Castafiore est la part qui chante et rit en chacun de nous, la part si belle… À ce titre, il fallait sinon la défendre du moins révéler sa vérité et s’en faire ce qu’elle a le mérite d’être : une extraordinaire amie.

EXTRAIT DU LIVRE – PAGES 10 -13

Le personnage ? d’origine italienne ? de Bianca Castafiore, littéralement Blanche Chaste fleur, date de 1938. Il apparaît pour la toute première fois au cours des aventures de Tintin en Syldavie, en noir et blanc dans Le Petit Vingtième.

Bianca est installée à l’arrière d’une Cadillac 1937 bleu roi ? immatriculée PN.12811 ? et dont la calandre n’est pas sans rappeler le style LaSalle, célèbre designer de chez Buick. Derrière le volant, un chauffeur en livrée. La cantatrice roule vers le Kursaal de Klow, la capitale du royaume syldave, pour y chanter, le soir même. Le lecteur la découvre gorge bardée d’un opulent astrakan anthracite, col châle. Sur sa tête, un bibi turban à la Simone de Beauvoir, rose fuchsia ; celui-ci laisse échapper une mousse blonde nuance bouton d’or. Entre ses mains une pochette enveloppe à pression de cuir bleu. Exception faite des pouces et index, chacun de ses doigts non manucurés s’orne d’une pierre. Aux oreilles, de simples clips ronds. À son poignet droit un bracelet. Un rien de rouge aux joues et aux lèvres achève cette tenue, somme toute assez sobre si on fait abstraction de la surcharge de bagues qui lui boudinent les mains et font par trop parvenue.

Un péché mignon qu’elle gardera toute sa vie. Serré sur sa droite, un inconnu maigrichon aux allures surannées. Tenant une canne à pommeau, il est coiffé d’un feutre noir à large bord façon Lautrec. L’inconnu est couvert d’un pardessus vert dont les revers de fourrure taillés en V laissent apercevoir le col cassé d’une chemise blanche, assortie d’un foulard bordeaux. Son nez porte lunettes cerclées et moustache carrée. Ses cheveux sont noirs, coupés aux ciseaux en un bol mi-long bien dégagé et tracé au cordeau sur la nuque. On devine un tempérament d’artiste… un peu contraint, sinon secret. Le lecteur le découvrira bien des années plus tard : il s’agit de Monsieur Wagner. Accompagnateur de son état, Wagner accompagne Bianca dès sa première image.

Calés à la gauche de Bianca : Tintin et Milou. Ils sont tendus : un complot se trame contre le roi syldave Muskar XII. Le reporter et son chien vont le déjouer. Bianca ignore tout. En femme cordiale et adepte du covoiturage, la cantatrice les a recueillis à son bord, depuis l’auberge de la Couronne où ils se sont rencontrés. Tout à trac, la Castafiore leur propose une avant-première de son concert. Deux images auront suffi à Hergé pour caricaturer un trait essentiel de la personnalité de la cantatrice : sa formidable spontanéité. Car sans plus de cérémonie, bravant le bruit du moteur et le ridicule, envahissant l’habitacle, elle se lance dans les trilles de l’air des bijoux, extrait du Faust de Gounod…

CE QU’EN DIT RICHARD LANGLOIS

Il y a des livres bien faits, d’autres très bien faits et quelques rares publications excellentes et exceptionnelles, le présent ouvrage appartient à la dernière catégorie. Jamais la présentation d’une héroïne du 9e art n’a été réalisé avec autant d’intelligence, d’humour, de perspicacité et d’enthousiasme dans sa dichotomie entre la fiction et la réalité.

Dans un style vivant et avec une écriture impeccable, Mireille Moons retrace le parcours complet d’une cantatrice imaginaire qui reflète l’évolution sociale, la culture et la mode féminine d’une époque, dans tous ses dessus et dessous. Le plaisir de la lecture est rehaussé par le grand soin apporté par les graphistes pour la restitution des nombreuses images et photographiques, qui étonnent et charment par leur grande variété et rareté.

Avec l’apparition sonore de la grosse dame caricaturale en 1938 dans Tintin en Syldavie, Hergé dévoile discrètement et progressivement sa propre vie affective, ses goûts et ses valeurs dans sa diva de papier en la rendant progressivement plus féminine et plus humaine. Capricieuse et précieuse, la Castafiore deviendra plus entreprenante, plus délicate et plus sensible. Un des traits essentiels de sa forte personnalité demeurera sa spontanéité ou, sans cérémonie ni avertissement, bravera le bruit environnant et le ridicule en se lançant dans les trilles de l’air des bijoux. Dès le début de la mise en image de la Castafiore, l’analyse poussée des tenues vestimentaires fascine ; elle porte sur la tête un bibi turban à la Simone de Beauvoir, rose fuchsia. Dans la revue Marie-Claire de 1937, ce ruban est déjà à la mode, et pendant la guerre, ce couvre-chef féminin deviendra populaire, autant en Europe qu’aux États-Unis. Dans son ouvrage, Moons dépasse toutes nos attentes, surtout lorsqu’elle s’attarde sur la garde-robe de la diva qui respecte la mode féminine des grands couturiers de son temps, Christian Dior, Coco Chanel, et bien d’autres. Il faut se rappeler qu’Hergé est le fils d’un employé dans la confection et lui-même demeure très attentif au vêtement. Dans Votre Vingtième Madame de 1932, il met déjà sa sensibilité à l’élégance au service de ses dessins de mode. Edgar-Pierre Jacobs joua un rôle important, en tant qu’ancien baryton, dans le dessin des costumes de scène de Bianca et dans l’écriture des notes de l’inoubliable et authentique « Air des bijoux », extrait du Faust de Gounod…

…En plus de l’analyse détaillée de toutes les différentes robes que la Castafiore porte à chaque jour et pour chaque rebondissement d’action, Moons nous signale que la robe la plus sophistiquée, que l’on retrouve sur la couverture, est l’œuvre du styliste Biki Bouyeuse de Milan, petite-fille de Puccini qui, associée à son gendre Alain Reynaud, habilla Maria Callas. Ces analyses fouillées et bien illustrées accompagnent chaque page…

L’ouvrage de Mireille Moons nous offre une lecture éclatante avec des images spectaculaires qui font ressortir la distinction féminine de la Castafiore. Chaque page nous montre la diva sous un éclairage nouveau, comme une femme exemplaire, ou plutôt extraordinaire. On passe de la castafiorophobie à la castafiorophilie, de la femme comme parure sociale à un personnage avec une profondeur psychologique. Comme Hergé, elle aura une irréprochable fidélité en amitié et une grande tolérance. Après avoir traversé près de trente-cinq ans de carrière sans se compromettre, elle provoque beaucoup de tensions mais possède beaucoup d’affection. Elle dérange et séduit en même temps. Laissons Mireille Moons conclure : « Vivre au chant du Rossignol milanais, c’est braver avec lui la noblesse du ridicule et partager de concert l’humble vanité de l’artiste, c’est apprendre à aimer l’opéra, à admirer les divas (… ) un livre à rire, absolument ! 

Par Richard Langlois -Actua BD

Vidéo : Mireille Moons par le de Castafiore

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