AVANT QUE TINTIN PARTE EN AMÉRIQUE : UN DIALOGUE SAVOUREUX

Les Aventures de Tintin en Amérique ont tout d’abord été pré publiées en noir et blanc dans l’hebdomadaire Le Petit Vingtième à partir du 3 septembre 1931, sous le titre « Tintin à Chicago ».

Mais, dès le jeudi 13 août Hergé commence à sensibiliser ses jeunes lecteurs au départ de Tintin et ce sous forme d’une double page illustrée dans laquelle il dialogue avec Milou et dresse un portrait peu flatteur de l’Amérique. Le texte est vraisemblablement dû à Paul Jamin, le collaborateur de Hergé à l’époque et les illustrations sont de Hergé.

Pour que vous puissiez profite de toute la saveur de ce sympathique dialogue entre les 2 héros, j’ai pris la peine de recopier le tout (avouez que je me décarcasse… Non ?)

— Eh bien Milou, le grand jour approche. Tu n’as pas peur

— Tintin. Moi ? Peur ? Mais tu ne me connais pas !

— Si Milou, je te connais. Tu es courageux, mais enfin je veux dire que les aventures dangereuses ne t’attirent pas spécialement.

— Je n’aime pas le danger, mais j’aime encore moins la pluie. Bruxelles est une ville très agréable. Mais quel horrible temps ! Pleut-il aussi en Amérique ?

— Parfois, Milou. Et il y a surtout des vagues de chaleur ou des vagues de froid. Je t’achèterai un parapluie et des snow-boots

— Ça Tintin, ça m’est égal. J’ai connu la chaleur équatoriale, j’ai vécu dans les neiges de Russie. Mais la pluie, Brrr. Quelle vilaine invention.

— Ça fait pousser les plantes, Milou !

— Les plantes ? Tu oublies sans doute que je suis carnivore.

— Je sais, mon vieux. Mais quand tu ronges un os de bœuf, songe que c’est avec des plantes que le bœuf s’est nourri ?

— Oui ! Soit ! Mais enfin on devrait faire pleuvoir la nuit, puisqu’alors je suis rentré.

— Qu’est-ce que tu as à trouver désagréables ces rafraîchissantes ondées ?

— Oh ! Pour toi c’est facile ! Tu as un trench-coat et des semelles en caoutchouc ! Tu n’as rien à craindre. Mais si je sors en temps de pluie, je dois rester deux heures près du feu pour me sécher. Et comme on ne fait pas de feu en été, j’attrape des rhumes carabinés !

— Ne t’en fais pas Milou ! S’il pleut trop en Amérique je t’achèterai un parapluie et des snow-boots !

— Un parapluie ? Tu n’y songes pas ! C’est un instrument trop désuet. Je préférerais un… chose… tu sais, ces manteaux noirs en toile huilée. C’est la dernière mode.

— C’est comme tu voudras Milou. Un oil-skin, un trench-coat, des snow-boot, etc.

— Arrête, Tintin. Tu sais bien que je ne comprends pas un mot d’anglais.

— Tu apprendras, Milou.

— Pour moi c’est de l’hébreu. Ainsi l’autre jour, tu parlais avec le monsieur du petit « vingtième » et tu as dit un tas de mots anglais que je n’ai pas compris.

— Je lui ai simplement parlé des bootleggers, des gangsters, des racketeers, des hijackers, des policemen.

— Suffit ! Qui sont tous ces types-là

— Les bootleggers, pour commencer, sont des individus qui, malgré la loi Volstead.

— La loi quoi ?

— La loi Volstead c’est une loi qui décrète la prohibition sur tout le territoire des United States.

— Où est-ce ça les Jounitett Stètess ?

— C’est le nom anglais des États- Unis d’Amérique.

Eh bien, cette loi interdit en Amérique la vente et la fabrication de l’alcool.

— Même de l’alcool à brûler et de l’alcool de menthe ?

— Non Milou. Mais on ne peut boire en Amérique ni vin, ni bière, ni liqueur, ni aucune boisson alcoolisée.

— Et qu’est-ce qu’ils boivent alors dans les cafés ?

— Ils boivent des limonades, du café, du thé, ils dégustent des glaces, etc. Mais les bootleggers passent la frontière avec d’importants chargements de liqueurs variées, plus mauvaises les unes que les autres.

Alors interviennent les hijackers. Ceux-ci attaquent les bootleggers, leur volent leur alcool, soit par ruse, soit par brutalité. Puis, quand ils ont multiplié chimiquement le nombre des bouteilles, ils les vendent aux cafetiers. Et ces gens forment des syndicats. Évidemment tu comprends que ces hijackers ne sont pas très bien considérés chez les bootleggers. Aussi ils ne se laissent pas faire et ce sont des batailles rangées qu’ils livrent aux voleurs d’alcool. Il y a aussi la rivalité intersyndicale : un cafetier qui achète son wisky à un syndicat aura des ennuis avec un syndicat rival.

Alors on l’invite à une promenade — taken for a ride — Il part en automobile avec un ami mais il ne revient jamais. Ces bandits forment des associations très puissantes. Ils ne se contentent pas de faire la contrebande : ils tuent et volent. Ils ont des armées de bandits prêts à tout, ce sont les gangsters.

— Quel charmant pays, Tintin !

— En effet. Mais ne va pas croire que tous les Chicagolais sont des gangsters. Les Chicagolais sont de très honnêtes gens qui en ont assez de tous ces bandits. La police déploie tous ses efforts mais cependant la situation est très dangereuse. De plus il y a encore les racketters.

— Qu’est-ce que c’est ceux-là ? Sans doute qu’ils volent l’alcool aux hijackers ?

— Non. Milou. Tu n’y es pas. I.es racketters sont des maîtres chanteurs.

— C’est une profession honorable, cela, Tintin I

— Honorable ! Pas du tout, mon cher Milou. Tu trouves cela honorable de faire chanter les gens ?

— Pour les voisins c’est parfois désagréable. Mais ce n’est pas un crime de faire chanter quelqu’un.

— Tu comprends mal Milou, Un maître chanteur c’est un type qui vient te trouver, ou plutôt qui t’écrit, et qui te dit : Si vous ne me donnez pas 1.000 francs, je puis vous ruiner en un quart d’heure. Mais les racketters eux, disent : Si nous n’avons pas telle somme, nous mettons une petite bombe dans votre appartement, et généralement la victime préfère perdre ses dollars que voir démolir sa famille à coups de bombe.

— Mais c’est horrible ce que tu racontes-Ià Tintin. À quoi donc sert la police ?

— Hélas Milou, la police est souvent impuissante à combattre les bandits, parfois mieux armés et plus nombreux.

— Mais alors. Tintin, tu n’aurais pas pu choisir un pays un peu moins dangereux ?

— Mon ami, nous n’allons pas là en touristes avec un Baedecker à la main et un kodak dans le dos. Nous n’y allons pas non plus pour boire l’alcool de bois qu’on y vend.

— De l’alcool de bois ?

—Oui. Sous l’étiquette de wisky ou de stout, on vend au consommateur un poison quelconque.

Plus d’un bon bourgeois américain qui s’était laissé aller à boire un verre de liqueur a trouvé Ia mort dans d’horribles souffrances.

— Alors, veux-tu me dire, Tintin ce que nous avons à faire là ? Ça ne me paraît pas un voyage très agréable

— Ça, c’est clair. Il est plus facile de rester flemmer à Bruxelles que d’aller aider ces bons Chicagolais.

Purger leur ville de celle pègre. C’est un devoir que nous accomplirons, Mi lou. Si tu as peur, tu peux rester ici, je partirai seul.

— Ça. Jamais. Tintin I … Quand partons-nous ?

Je dispose d’un exemplaire de ce Petit Vingtième du 13 août 1931. Si vous souhaitez l’acquérir, merci de me contacter par mail : 

tintinomania@gmail.com

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