VIDÉO : QUAND THALASSA NOUS RACONTAIT TINTIN ET LES BATEAUX

Dans cette émission, réalisée depuis Ostende, la célèbre émission de télévision Thalassa évoque les rapports entre la mer et Tintin. Avec de nombreux spécialistes, nous partons sur les traces de Tintin à travers ses aventures en mer.

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L’occasion de relire une très belle contribution de Philippe Goddin

Surgissant au passage des années vingt aux années trente, Tintin est probablement né au bon moment. Lorsqu’il entreprend son premier reportage, comme envoyé du Petit Vingtième dans la Russie des Soviets, la planète est déjà sillonnée en tous sens par ceux que l’on appelle les globe-trotters. Grâce à ces derniers, l’invitation au voyage, qui est valable pour tout un chacun, lui est clairement formulée. Qui sont-ils, ces intrépides voyageurs ? Il y a les aventuriers qui s’empressent d’aller explorer les derniers territoires qui figurent encore en blanc sur les cartes. Il y a les diplomates et les hommes d’affaires, qui tirent parti des lignes régulières tracées par les paquebots ou des réseaux aériens tissés entre les grandes métropoles. Il y a des écrivains audacieux, qui ne reculent devant aucune destination lointaine ou exotique pour stimuler leur imagination ou pour étoffer leur langage. Il y a les grands reporters, dépêchés là où leur devoir et leur rédaction les envoient. Il y a les hommes (et les femmes !) qui se sont mis en tête de battre l’un ou l’autre record de vitesse ou d’altitude, ou qui ambitionnent de réaliser l’une ou l’autre des « premières » encore à conquérir.

POUR TINTIN TOUS LES MOYENS DE TRANSPORTS SONT BONS A PRENDRE

Une décennie s’étant écoulée depuis la fin de ce qu’on a bien dû nommer la Grande Guerre, les nations se mesurent désormais pacifiquement, dans la conquête de l’impossible. Bref, les équipages les plus divers confèrent en ce temps-là à notre bonne vieille Terre un dynamisme inconnu jusqu’alors. Dès sa création, le 10 janvier 1929, Tintin fera naturellement partie de ces vecteurs enthousiastes et émerveillés. On le verra emprunter des moyens de transport aussi variés que trains express, motocyclettes, automobiles, transports de troupes, chevaux, aéroplanes, taxis, voitures de course, fourgons cellulaires, pousse-pousse, autos blindées, bicyclettes, camions, hydravions, remorques, trains de marchandises ou avions de chasse. Sans compter une draisine, une chaise à porteurs et une caisse à savon, et sans compter les déplacements effectués à dos d’âne ou à dos d’éléphant.

C’est à dessein que nous n’avons pas cité ici tout ce qui flotte ou qui vogue, et que Tintin a pu également emprunter. Car, bien évidemment, de 1927 à 1939, c’est-à-dire de la création de Tintin à ce Sceptre d’Ottokar qui ne dissimule pas la menace qui pèse à nouveau sur la paix mondiale, Hergé aura conçu neuf récits dans lesquels son personnage vedette se sera mû avec la même aisance sur mer que sur terre ou dans les airs. Ainsi, pendant une dizaine d’années, Tintin aura entretenu avec l’univers maritime, et plus généralement avec l’élément liquide, le même rapport franc et décomplexé qu’il aura affiché à l’égard des autres moyens de transport. Une relation qu’on pourrait qualifier de fonctionnelle, qui l’amène à emprunter indistinctement tout ce qui bouge et qui de préférence va vite ou va loin. Au pays des Soviets, il s’empare d’un canot automobile. Pour se rendre en Afrique, il voyage à bord d’un paquebot, et il semble aussi à l’aise quand il se déplace en pirogue sur le fleuve Congo que lorsqu’au cours du récit suivant il dirige une vedette sur le lac Michigan. Rentrant d’Amérique à bord d’un bateau, il saute sur un autre qui part pour le Proche-Orient. En principe pour des vacances, il franchit le Nil en barque et la mer Rouge à bord d’un sarcophage flottant avant d’être recueilli sur un boutre. En Chine, il fait du va-et-vient nautique : un paquebot l’y amène, un autre l’en éloigne, une jonque l’y ramène. Un troisième paquebot lui fera quitter l’Asie. Le voyage suivant est plutôt mouvementé, entre Le Havre et le San Théodoros, à bord d’un transatlantique. Un canot à moteur lui sert à débarquer en Amérique du Sud, une pirogue lui permet de remonter le cours du fleuve Badurayal, un autre transatlantique le ramène en Europe.Ultime sortiee en mer, le temps de briser un fétiche, et c’est le départ d’une nouvelle aventure, avec la malle Ostende-Douvres ralliée de justesse, avec une barque à moteur qui lui permet d’atteindre l’île Noire, et avec une vedette de Scotland Yard pour en repartir.

Dans les Balkans, un peu plus tard, la traversée du Wadir se fera à la rame, en barque : le sceptre d’Ottokar doit être sur l’autre rive. Mais revenons sur terre ! En 1940, une nouvelle guerre éclate. Elle sera bientôt mondiale elle aussi. Se tenant, par la volonté d’Hergé, à l’écart de ce contexte, Tintin s’apprête à faire une rencontre décisive. En arpentant les quais d’un port pour s’en aller fouiller les cales du cargo KARABOUDJAN, il est loin d’imaginer qu’il trouvera à bord quelqu’un qui deviendra son meilleur ami. Le capitaine Haddock est à ce moment une véritable épave (triste sort pour un marin !), mais Tintin parviendra à force d’exemple à lui faire retrouver le bon cap.

LE « CYCLE MARITIME » DE HERGÉ

On sait que Georges Remi dit Hergé a toujours préféré le volant de ses voitures à la barre des navires. Pour lui également, la rencontre de Tintin avec le capitaine Haddock, ex-officier de marine au long cours, sera capitale. En effet, par l’intermédiaire de deux navires qu’il sera amené à dessiner, et qu’en quelque sorte il érigera en héros – le vaisseau LA LICORNE et le chalutier SIRIUS – son propre rapport à l’univers maritime se trouvera modifié. On ne peut s’empêcher d’observer qu’en octobre 1940, avec le début du Crabe aux Pinces d’Or, s’ouvre un nouveau cycle narratif dont la mer est le décor principal. Un cycle qui se poursuivra sans discontinuer avec l’Étoile mystérieuse, avec le Secret de la Licorne et avec son prolongement Le Trésor de Rackham le Rouge. Plus de quatre ans de croisière et d’expéditions en tous genres, le long des côtes d’Afrique du Nord, dans les régions arctiques, dans l’Atlantique et dans la mer des Antilles. On peut dire que, pour pratiquement toute la période d’occupation de son pays, Tintin a pris la mer, façon de prendre ses distances au moment où l’oppression physique et morale se faisait sentir. La littérature d’évasion (comme la chanson ou le cinéma) constitue une échappatoire idéale pour qui veut changer d’air.

Mais pourquoi la mer, précisément, dans le cas d’Hergé ? Pourquoi pas la montagne ou le désert ? Comment croire au hasard dans une carrière comme la sienne, ou l’élément narratif est le prétexte à toutes les aventures intellectuelles ? On peut croire, au contraire, que si l’auteur des Aventures de Tintin s’est embarqué un jour avec ses personnages, et que s’il les a menés sur les flots quelque cinq années durant, c’est que les circonstances de sa vie privée et de sa vie professionnelle l’y avaient invité. Hergé ne s’est évidemment pas converti au culte de Neptune à la faveur d’une soudaine illumination qu’il aurait éprouvée sur une route syldave empruntée en guise de chemin de Damas. Il a bien sûr rencontré un certain nombre de personnes pour qui la mer était l’univers de prédilection, pour qui les bateaux et les traditions maritimes constituaient des centres d’intérêt. Et comme rien n’est plus contagieux que les affections lorsqu’elles proviennent à la fois du cœur et de l’esprit, il pouvait difficilement y échapper lui-même. La place nous manque ici pour développer comme il le mérite cet aspect particulier de la carrière d’Hergé, tant sur le plan graphique que sur le plan biographique. On réservera dès lors à une future exégèse de cette période une plus grande précision quant aux noms, aux dates, aux événements et même aux éléments graphiques encore inédits qui auront marqué le “cycle maritime” de Tintin.

On se contentera ici de quelques indications. On signalera par exemple que, dès 1935, dans le cadre du souci croissant de documentation qui le caractérise, Hergé s’était abonné à une revue nautique dont il appréciait certains illustrateurs et les animateurs. Qu’à la faveur de ses participations aux calendriers de la Fédération des Scouts catholiques de Belgique, il avait fait la connaissance, en 1937, d’un certain Gérard Liger-Belair, spécialiste entre autres de l’histoire de la Marine et par ailleurs propriétaire d’un commerce de modélisme. Qu’ayant quitté Woluwe-Saint-Lambert en 1939 (où soit dit en passant se mettaient en place à deux pas de son domicile un Clos Sirius et un Clos de le Licorne), le dessinateur s’était établi à Boitsfort, commune verdoyante de la périphérie bruxelloise, où il avait trouvé (à quelques centaines de mètres de son nouveau logis) un étang servant aux évolutions des modèles réduits construits par les membres du Model Yacht Club de Bruxelles.

Qu’il y avait noué, le dimanche matin, des relations à la fois plaisantes et intéressantes, tant avec des modélistes qu’avec certains spectateurs. Que parmi ces derniers figurait un collectionneur, amateur particulièrement éclairé, qui n’allait pas tarder à lui faire les honneurs de son domicile, et de sa salle de marine à quelques encablures du Vieux Marché. Qu’il lui avait montré ses collections d’objets, de tableaux et de modèles réduits, et qu’il s’était proposé de documenter le « père » de Tintin si d’aventure celui-ci le souhaitait. L’homme ne s’appelait pas Ivan Ivanovitch Sakharine, mais c’était tout comme, et ils avaient rapidement sympathisé.

Il faudrait encore parler d’un antiquaire bruxellois nommé Loiseau et d’un autre qui, avec ses fils, s’apprêtait à ouvrir dans la capitale un musée privé de Marine.

Tous ces gens, tous ces passionnés, Hergé les a rencontrés, et généralement admirés. Il a tissé avec certains d’entre eux des liens privilégiés qui devaient après quelques détours, déboucher sur l’évocation de la vie et de la destinée de François, chevalier de Hadoque, capitaine du Roy Louis le quatorzième, commandant le vaisseau LA LICORNE. Une manière comme une autre pour qui n’avait guère navigué auparavant, de se perdre dans l’océan. Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

Voilà en tout cas comment de fonctionnelle une relation à l’univers maritime peut devenir affective.

PHILIPPE GODDIN

 

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