Hergé pratiquait déjà, en 1934 le ‘Placement de produits’. Vous connaissez tous cette technique qui consiste à placer (le plus naturellement possible mais en évidence) un produit dans un film ou une série télé pour faire la publicité du dit produit. Hergé la connaissait déjà en 1933 lors de la publication des Cigares du Pharaon. Lorsque le Sheik Patrash Pasha fait part à Tintin de son admiration pour lui, il le lui prouve en exhibant un album d Tintin en Amérique. Mais, au cours des rééditions, l’album présenté change : après l’Amérique, ce sera Le Congo et ensuite Objectif Lune… Un mystère pour la plupart d’entre-nous. Pourquoi ces changements ?

TENTATIVE D’EXPLICATION

Nous sommes en 1934. Tintin continue son exploration méthodique de la planète. Après la Russie, le Congo et l’Amérique, le voici qui se tourne vers l’Orient pour une nouvelle aventure. Hergé désire en effet ajouter un élément de mystère.

Notre héros s’est fait capturer par un Sheik passablement énervé et s’apprête à passer un mauvais quart d’heure. Lorsque Tintin lui révèle son identité, celui-ci change radicalement de posture et se montre finalement très chaleureux. Véritable Deux ex machina, le Sheik est en effet un fidèle lecteur des aventures de Tintin. Il permet au lecteur de s’incarner dans son personnage pour témoigner à Tintin son admiration. Un serviteur vient lui présenter un album de ses aventures : Tintin en Amérique. L’aventure précédant chronologiquement Les cigares du Pharaon. Il s’agit donc d’un rappel au lecteur. Le message subliminal pourrait être : Toi qui lit cette BD et qui l’apprécie, vérifie que tu possèdes bien la précédente ! Il est intéressant de constater que l’album est plus tourné vers nous que vers Tintin.

En 1955, Hergé entreprend la refonte de l’album lors du passage à la couleur. Outre le tapis, l’os dans la bouche de Milou et le visage de Tintin crachant son thé, la modification la plus intéressante est certainement le changement de l’album que présente le serviteur : Tintin au Congo, aventure qui était, elle aussi, antérieure aux Cigares

Dans la réédition de 1964, album partiellement remanié, nous assistons à un surprenant paradoxe temporel ! N’ayant plus la possibilité d’afficher un album paru à une date antérieure aux Cigares du Pharaon, Hergé prend la liberté de nous montrer Objectif Lune, paru en 1953. Celui-ci n’a absolument pas vécu les aventures narrées dans Objectif Lune, qui le montrent en compagnie de personnages lui étant alors inconnus, comme le capitaine Haddock et le professeur Tournesol…

Étourderie de la part de l’auteur? Certainement pas, la rigueur tatillonne de Hergé, qu’illustrent abondamment ses archives privées, ne peut que nous guider vers un choix délibéré de sa part. Cette référence paradoxale à un album futur devient alors une manière de rompre la stricte continuité chronologique des albums, et de suggérer que, si ces derniers ont été créés dans un certain ordre, le lecteur peut les lire, lui, dans l’ordre qu’il veut. La simple présence de l’album dans cette case est donc bien plus qu’un malicieux clin d’œil au lecteur attentif : c’est une façon pour Hergé de définir un contrat de lecture pour son œuvre, lui qui n’a de cesse de la reprendre et de l’harmoniser dans son ensemble.

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