EDGAR PIERRE JACOBS : UN AUTRE PÈRE FONDATEUR DE LA BD EUROPÉENNE (1904 – 1987)

Né le 30 mars 1904 à Bruxelles, Edgar Félix Pierre Jacobs est très tôt fasciné par le dessin et la musique.

Lors de sa première communion en 1915

Après des études commerciales où il fait la connaissance de Jacques Van Melkebeke (3), il suit ce garçon d’une autre classe (tout aussi doué que lui pour le dessin) et s’inscrit à l’Académie Royale des Beaux-Arts : son but secret étant de devenir peintre d’Histoire. Hélas pour lui, dans le meilleur des cas, il ne fut que dessinateur de bijoux, d’orfèvrerie et de dentelles, retoucheur de photographies, ou encore illustrateur de petits travaux destinés à des catalogues publicitaires pour les Grands Magasins de la Bourse, l’Innovation, le Bon Marché ou le Grand Bazar. Parallèlement, comme il a ses entrées dans le monde du théâtre et qu’il rêve de devenir chanteur d’opéra, il joue les figurants au Théâtre royal de la Monnaie puis au théâtre de l’Alhambra, participant à la revue du Casino de Paris aux côtés de Mistinguett ou mettant ses talents de parolier au service de l’Opéra de Lille.

Dans les années 20, Il fait la connaissance de Jacques Van Melkebeke dans une École de comptabilité. Ce dernier lui présente Jacques Laudy.  Les trois compères ont vingt ans et sont souvent ensemble.  Parallèlement, à partir de 1921, Jacobs est figurant au Théâtre Royal de la Monnaie, il participe à la grande revue du Casino de Paris, aux côtés de Mistinguett, et devient artiste lyrique à l’Opéra de Lille.  En 1940, il doit abandonner la scène. L’argent venant à manquer cruellement et la guerre ayant fait des ravages, il délaisse cet univers pour revenir dans sa Belgique natale alors occupée par les Allemands.

LA PÉRIODE « BRAVO »

C’est sur les conseils de son ami Jacques Laudy qu’Edgar P. Jacobs se présente à Jean Dratz, le directeur artistique de Bravo. Il y est immédiatement engagé comme illustrateur de nouvelles, romans, contes et autres récits où il met à profit ses connaissances du costume historique et de l’histoire de l’art, tout en démontrant son sens du décor et de la couleur.

Illustration publicitaire

En novembre 1942, alors que les pages de la série Flash Gordon de l’américain Alex Raymond n’arrivent plus et que le stock d’avance diminue de façon inquiétante (les communications entre les États-Unis et la Belgique étant entravées par la guerre),

la rédaction de Bravo charge le traducteur de ficeler une suite dans le même style et demande à Jacobs de dessiner quelques planches en faisant du faux Alex Raymond …, dans les plus brefs délais. Le grand public ne s’aperçoit pas de la supercherie mais les organes de censure allemands, s’étant rendus compte que Gordon l’intrépide était passé subitement dans le camp allié, interdisent la bande dessinée deux semaines seulement après que Jacobs ait pris le relais.

Cet arrêt forcé lui permet cependant d’avoir l’idée de créer (dès qu’il en aura l’opportunité) sa propre série qui mêlerait sur un mode réaliste récit policier et fantastique, et d’être choisi pour illustrer un nouveau récit de science-fiction, genre de plus en plus prisé par les lecteurs.

Ce sera  Le Rayon U  (qu’il scénarisera lui-même), en 1943. Jusqu’en 1946, il continuera de collaborer à Bravo ! de façon alimentaire, figurant également au sommaire de revues comme A.B.C., Stop ou Lutin, alors qu’il espère encore pouvoir remonter sur une scène d’opéra et s’y faire un nom.

PREMIERE RENCONTRE AVEC HERGÉ

C’est par l’intermédiaire de Jacques Van Melkebeke (qui travaille avec Hergé au Soir Jeunesse) que la rencontre entre ces deux géants de la bande dessinée va s’opérer, lors de la pièce de théâtre « Tintin aux Indes : Le Mystère du Diamant Bleu, le 15 avril 1941, au Théâtre Royal des Galeries à Bruxelles. Jacobs n’avait alors jamais entendu parler d’Hergé, ni lu un seul Tintin.

Illustration de Stanislas Barthélemy extraite de l’album « Les Aventures d’Hergé »

En 1942, Casterman, éditeur des albums de Tintin, demande à Hergé de se tourner désormais vers la couleur pour les aventures de son célèbre reporter. Le dessinateur repousse depuis longtemps ce choix qui l’oblige à modifier sa manière de travailler et à refondre tous ses anciens albums en noir et blanc pour les réduire au format de 62 pages. Vaste et fastidieuse besogne qu’il ne peut en aucun cas effectuer seul.

Hergé pense alors à s’adjoindre les services d’Edgar P. Jacobs, qu’il a rencontré l’année précédente et qui travaille désormais pour l’hebdomadaire Bravo! sur la série : Le Rayon U.

Jacobs, Van Melkebeke et Hergé

Pour beaucoup de monde, Jacobs est considéré comme le premier collaborateur d’Hergé, il n’en demeure pas moins qu’il est en fait le second. Durant le temps de réflexion d’Hergé pour engager Edgar, il embauchera d’abord Alice Devos, l’épouse de son ami José De Launoit qui fut son associé dans l’épopée de l’Atelier Hergé vers 1934.  Cette dernière officiera sur l’Etoile Mystérieuse, le Crabe aux Pinces d’Or, l’Ile Noire et l’Oreille Cassée.

Finalement, lorsqu’elle s’arrêtera pour son congé maternité Edgar la remplacera et débutera à mi-temps le 1er janvier 1944. L’activité de Jacobs pour épauler Hergé est multiple et s’articule autour de plusieurs axes : recherche de documentations, création des décors et mise en couleur des albums. Mais en pratique, sa participation va parfois plus loin puisqu’il propose des idées pour certaines histoires.

Le premier album sur lequel Jacobs va œuvrer est Le Trésor de Rackham le Rouge mais sa participation demeure succincte (couleur et modification de la taille de l’île). Il passera ensuite à Tintin au Congo et Tintin en Amérique où là encore, sa précision dans la création des décors et sa maîtrise de la couleur apporteront une nouvelle dimension aux albums d’Hergé.

Avec Le Lotus Bleu, Jacobs innove en gamme de couleurs. Puis, il attaque l’album Le Sceptre d’Ottokar, qu’il considère comme son album préféré de Tintin. Là encore, il fait merveille sur le dessin des décors et modernise le travail d’Hergé, notamment en « balkanisant » les tenues des gardes.

Mais l’apport le plus important de Jacobs se fait sur le fameux dyptique : Les 7 Boules de Cristal et Le Temple du Soleil. Pour une fois, Edgar contribue sérieusement au scénario : le nom du titre du premier tome, ainsi que l’idée des boules de cristal. Pour le second volet, il propose l’accident du train et le souterrain qui mène au temple.

UNE AMITIÉ SUR FOND DE GUERRE

Ce travail quotidien se passe dans la bonne humeur et une solide amitié se noue entre les deux dessinateurs. Ainsi, lorsque Hergé sera soupçonné en 1944 d‘avoir collaboré pendant la seconde guerre mondiale en dessinant pour le quotidien Le Soir volé (volé par les Allemands), Edgar viendra passer une nuit chez son ami, un gourdin à la main, afin de le défendre contre d’éventuelles représailles.

C’est également pendant cette période troublée que Hergé et Jacobs signeront en commun sous le pseudonyme « Olav » les synopsis pour trois récits : un western, un policier et une aventure.

Finalement, le western sera confié plus tard au dessinateur Paul Cuvelier et sortira sous le titre Les aventures de Tom Colby : Le canyon mystérieux.

L’AVENTURE DU JOURNAL TINTIN

Crayonnés d’E.P. Jacobs

Le 26 septembre 1946, c’est le lancement de l’hebdomadaire Tintin avec Hergé, Jacobs, Laudy et Cuvelier aux commandes. Jacobs signe la couverture de ce premier numéro avec le décor du Temple du Soleil (Hergé ajoutera ses personnages), les illustrations pour deux récits (dont La Guerre des Mondes), ainsi que la première planche des aventures de Blake et Mortimer : Le Secret de l’Espadon. Le succès de l’hebdomadaire est immédiat ainsi que la nouvelle série de Jacobs qui le propulse au premier plan et l’oblige à enchaîner les aventures au fil des numéros. Toutes ses histoires seront publiées dans le journal.

UNE SAINE RIVALITÉ

Finalement, Jacobs cessera sa collaboration avec Hergé en janvier 1947. D’une part Blake et Mortimer l’accaparent de plus et plus et d’autre part, on prétend aussi qu’il n’appréciait pas le refus d’Hergé que son nom apparaisse à côté du sien sur les albums de Tintin. Depuis un moment, Hergé voit d’un mauvais œil cette concurrence soudaine. D’ailleurs, tous les ans, un référendum est organisé par le journal Tintin pour élire les meilleures histoires. Blake et Mortimer se payent le luxe d’être parfois en tête, devançant Tintin.

De plus, les éditions Le Lombard sortent dès 1950 leur premier album cartonné, le tome 1 du Secret de l’Espadon. Hergé déclarera alors « Un album de Blake et Mortimer acheté est un album de Tintin que je ne vendrai pas » (La Damnation d’Edgard P. Jacobs – Seuil/Archimbaud).

Mais tout ceci n’entachera pas leur amitié et en 1976, en préface de la revue Schtroumpf n°30 consacrée à Jacobs, Hergé écrira  Ceux qui ne connaissent le père de Blake et Mortimer que comme auteur sont déjà d’heureux mortels. Comment qualifier la chance d’un mortel qui, comme moi, l’a pratiqué, en supplément, et durant tant d’années, au titre de collaborateur et surtout au titre d’amiEn 1947, Jacobs abandonne sa collaboration avec Hergé se consacre dès lors de manière quasi-exclusive à sa propre série où il fait vivre de multiples et périlleuses aventures à ses very british héros. Curieuse destiné que celle d’Edgar Pierre Jacobs. Il ne vient ˆ la bande dessinée que par obligation, à 36 ans, mais n’en signe pas moins l’une des œuvres les plus importantes du genre

CLINS D’ŒILS

De nombreux hommages parsèment leurs albums respectifs. Hergé fera figurer E. P. Jacobs dans 5 des aventures de Tintin :

– Les Cigares du Pharaon : E. P. Jacobs momifié sous le nom de Jacobini. Il aura aussi l’insigne privilège de figurer sur la couverture de l’album.

– Le Sceptre d’Ottokar : Hergé et Jacobs se sont amusés à se représenter à deux reprises.

– Objectif Lune : Dans la grande salle, un dessinateur présente une étonnante ressemblance avec E. P. Jacobs !

– Les 7 Boules de Cristal :  On remarque, en regardant très attentivement, E. P. Jacobs et son célèbre nœud papillon dans une loge au premier balcon.

-L’affaire Tournesol : Le nom Jacobini apparaît sur l’affiche. Précisons que Jacobs était un passionné d’opéra.

Publication réalisée à partir du passionnant dossier de Ludovic Gombert – © novembre 2010

VIDÉO : E-P. JACOBS, LE COLLABORATEUR ET AMI DE HERGÉ

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