LE TRAIN DANS L’OR NOIR

Voilà Tintin en Arabie, mais où va-t-on trouver des trains ? Tout d’abord notre reporter, curieux des effets de l’essence qui explose, va faire un tour du côté des réservoirs de la Speedol. Nous sommes donc au port (pages 6 et 7 des albums en couleurs) au niveau de ces fameux réservoirs, où se trouvent, comme il va de soi, des wagons citernes.

C’est d’ailleurs l’un d’eux qui cachera Tintin à un des malfaiteurs. Mais il est intéressant de s’attarder ici sur ces deux planches. J’ai comparé les deux éditions, celle de 1950 (très proche de la version noir et blanc parue dans « Le Petit vingtième ») et celle de 1977. Page 6, 4ème strip, vignette 2, le wagon tombereau (semble-t-il chargé de charbon) édition 1950, laisse la place à deux wagons citerne à essieux dans la nouvelle version.

Les vignettes suivantes montre des wagons redessinés où les « chaînes de sécurité » utilisées dans les années 50 et même au moins pour la décennie suivante sont supprimées. Par contre, les tuyauteries de frein font leur apparition dans la dernière version.

Enfin quand Tintin quitte le port, remerciant Milou de l’avoir « sauvé », il n’y a plus de wagon en arrière-plan dans la dernière version. Encore une fois nous pouvons constater que la version 1950 constitue seulement une mise en couleur.

Toujours planche 7  la dernière vignette a été modifiée, d’une seule voie (Petit vingtième ainsi que l’édition de 1950), en voici deux et les équipements du quai sont plus complets.

Dans les souterrains du palais du professeur Smith (alias le docteur Müller), Tintin découvre dans les galeries un  Decauville ! (page 48).

Ce nom provient du nom de son créateur : Paul Decauville (1846-1922) qui inventa un type de voie de 0,40 à 0,60 m d’écartement. Il est le fils d’un exploitant agricole spécialisé dans la production de la betterave sucrière et la distillerie. En raison d’un stock de 9 000 tonnes de betteraves attendant dans des champs détrempés et d’accès très difficile, il met en place un  réseau de voies ferrées et d’engins plus pratique que les tombereaux tirés par des chevaux.

Cette invention a trouvé des applications dans de nombreux domaines : exploitations minières et industrielles, desserte d’ouvrages militaires, etc. Les wagonnets étaient d’abord poussés à la main ou tractés par des chevaux. Par la suite, des voitures de formes diverses et des petites locomotives firent du Decauville un véritable système de chemin de fer.

Sur le plan militaire, après la déroute de la guerre franco-allemande de 1870, il apparaît qu’un moyen de transport adapté doit être choisi par l’armée française pour le transport des matériels en masse.

 Voie étroite Decauville pour transport de munitions en 14/18

Plusieurs solutions sont étudiées, dont la voie de 60 cm et la voie métrique. La première solution sera adoptée. Le projet aboutira en 1888 à un système ferroviaire complet de voies et matériels adaptés aux transports en temps de guerre.

Il fut un outil stratégique primordial lors de la Première Guerre mondiale. L’adaptation militaire du système Decauville va être effectuée par le commandant Péchot à la batterie de Bouvron près de Toul ; la voie de 60 cm va être testée, notamment à Langres, en 1906.

Le matériel le plus fréquemment rencontré est la locomotive Péchot-Bourdon (image ci-dessous), la plateforme d’artillerie Péchot mle 1888, différents types de wagons (citerne, couvert) et chose intéressante, des wagons artillerie que l’on appelle affût truck, portant sur un affût spécial, un canon de 120 long ou un canon de 155 court.

La locomotive Péchot-Bourdon n° 175 construite par Baldwin à Philadelphie aux États Unis en 1916. Document Internet.

Decauville fournira beaucoup de matériel. Dans certains forts, on trouve des plaques tournantes marquées Decauville. 

Comme sur la « ligne Maginot », certains forts possédant une voie étroite à l’intérieur des galeries pour le transport de munitions, des plaques tournantes ont été placées dans les angles des galeries afin de faire pivoter le petit wagonnet). En voie de 0,50 m, signalons au passage, le train du Jardin d’Acclimatation. Ouverte en 1878, la ligne relie aujourd’hui la porte Maillot au jardin d’acclimatation, distants de 800 mètres. Elle est la première ligne de France à voie très étroite à avoir transporté des voyageurs.

Le Parc des Chanteraines s’étend aujourd’hui sur plus de 80 hectares. Pour desservir les différentes parties du parc, une ligne de chemin de fer à voie de 0,60 m a été retenue et réalisée en 1981 du «Pont d’Epinay» (aujourd’hui «Les Mariniers») au «Passage de Verdure» situé au-dessus de l’autoroute A 86, soit une distance de 3,100 km.Au début des années 1970 la création d’un parc départemental fut décidée par le Conseil Général des Hauts-de-Seine, situé sur les communes de Villeneuve-la-Garenne et de Gennevilliers.

Plaque de la locomotive 030T du chemin de fer des Chanteraines. (Cliché : Pierre Defrance

Suite à l’agrandissement de ce parc, en 1991,  la ligne fut prolongée jusqu’à la «Gare de Gennevilliers» située sur la ligne C du RER Ermont-Invalides. Cela représente aujourd’hui un total d’environ 5,5 km dont 1 km de voies d’évitement et de garage.

La 030 « Decauville » du Chemin de Fer des Chanteraines. (Cliché : Pierre Defrance)

Ce constructeur ne s’est pas limité au « petit écartement », dès 1896, la société commence la production pour voie de 1 m avec une locomotive à vapeur de type 020. Par la suite (1939) des autorails sont construits également pour la voie métrique. En 1932, la société reçoit une commande de la Compagnie des chemins de fer du Nord pour deux autorails, pour la voie normale (1,435 m), à caisse tubulaire de 2 × 130 ch. à transmission mécanique. Ceux-ci seront immatriculés ZZ 13 et 14 puis ZZ DC 1001 et 1002 à la SNCF. La construction et les essais de ces autorails furent suivis de près par les autres réseaux.

Plusieurs types d’autorails furent construits par la société Decauville, entre autres pour le PLM les ZZ P 1 à 9, livrés en 1938 à Grenoble. Ci-dessous, représentation de cette série des autorails SNCF ayant circulé principalement entre Lyon et Grenoble, dans leur version modernisée et numérotation : X 52001 à 8 (le neuvième engin ayant été détruit suite à un accident en 1945).

Enfin, pour la petite histoire, signalons que la société Decauville a livré des remorques d’autorails dites remorques « unifiées » ou « Decauville » ou encore « caisse à savon » au nombre de 739 engins !

Autorail PLM ZZ P en état d’origine avec ses longs capots. Ces appendices les feront appeler « nez de cochon » et les engins seront transformés en 1952-1953. Sortis à l’origine aux couleurs du PLM (bleu et crème) ils recevront, lors de leur modification, la livrée rouge et crème de la SNCF. (Document Internet)
Les images extraites de l’œuvre de Hergé sont la propriété exclusive de MOULINSART SA. © Hergé-Moulinsart 2018.

 

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3 commentaires


  1. Excellent reportage !,merci Jean-Luc ! je n’avais jamais rien lu antérieurement sur ce sujet !!

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    1. Tout le mérite en revient à Pierre Philipon, je me suis contenté d’illustrer au mieux.

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      1. Tout honneur et toute gloire à Pierre Philipon,mais tu en récoltes quand même des éclaboussures qui ne sont pas à dédaigner….
        (paroles du Doyen de la Faculté….!!)

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