TINTIN – ÉTOILE MYSTÉRIEUSE : QUAND HERGÉ SAUVEGARDAIT SES DESSINS

Les planches de L’Étoile Mystérieuse, appelées « de sauvegarde » et toutes composées de trois bandes, ont été dessinées par Hergé en 1942. Leur histoire mérite d’être racontée, car elle nous explique pourquoi il s’est infligé ce travail de moine copiste et pourquoi il a dû se débrouiller tout seul pour les réaliser.

C’est au début du mois de février 1942 que Hergé apprend que son éditeur, Louis Casterman, a décidé de changer la formule des albums Tintin, jusque-là édités en noir et blanc avec un nombre de pages dépassant largement la centaine.

TINTIN : QUAND LES ALBUMS ONT PRIS DES COULEURS

Le papier se faisant rare en temps de guerre, le grand patron de la maison d’édition propose de publier des albums plus minces, mais aussi, et surtout, plus attirants encore, car imprimés en quadrichromie sur la toute nouvelle presse de son imprimerie à Tournai.

L’éditeur annonce vouloir commencer tout de suite avec L’Étoile Mystérieuse qui doit paraître, comme de coutume, en fin d’année pour les fêtes. Louis Casterman demande donc à Hergé d’envoyer sans tarder les premières planches adaptées au nouveau format.

Hergé se retrouva donc à sa table de dessin avec devant lui tous ses strips conçus pour paraître dans le journal Le Soir et parfaitement inutilisables comme tels dans la nouvelle formule Casterman. Le créateur de Tintin se rendit rapidement compte qu’il lui était tout à fait impossible de redessiner tous les strips déjà parus, tout en continuant à en dessiner des nouveaux pour le journal. Il lui fallait de l’aide. Or, il ne trouva aucun dessinateur capable de l’assister, ou en tout cas aucun qui avait suffisamment de talent ou de temps.

Il fallut donc trouver une autre solution, et vite, car la maison d’édition mettait la pression. C’est à ce moment que Hergé entreprit de découper ses strips existant pour les recadrer, les adapter et finalement les recoller sur les planches à dessin en fonction de la nouvelle maquette des albums couleur à 62 pages de 4 strips chacune. Mais comme il était avant tout un homme de presse, il voulut sauvegarder ses dessins originaux afin de pouvoir éventuellement les publier plus tard dans d’autres quotidiens.

Les strips originaux parus dans Le Soir en novembre 1941

Et c’est comme ça que les fameuses copies, dites de sauvegarde, virent le jour. Hergé réalisa à la main des copies de ses strips noir et blanc sur un bac à lumière (une table lumineuse comme celle sur laquelle les photographes examinent les négatifs) avant de « mutiler » les originaux pour la bonne cause de l’édition en couleur… Travail de copiste fastidieux, mais finalement plus aisée et surtout plus rapide à accomplir que celui de tout redessiner.  Hergé sauvegarda ainsi soixante-six strips, avant de découvrir, quelques mois plus tard, le moyen de faire des copies photographiques de manière bien plus rapide grâce au procédé des bromures, une sorte de photocopie avant la lettre…!

Exemple de « copie » réalisée par Hergé. Estimation : 300 000 / 400 000 €

Sur cette planche, la scène mythique des savants annonçant la fin du monde, celle des rats, frappés de panique, quittant les égouts. Et petit plus, quelques traces de sang de Hergé qui viennent tacher le papier. Il se serait en effet blessé avec un compas sur sa table de dessin, précise la maison de vente Artcurial.

Ces copies des soixante-six premiers strips de L’Étoile Mystérieuse sont tout simplement splendides. Le trait d’Hergé est magnifiquement reproduit, même si le résultat n’est pas totalement identique à l’œuvre originale.  N’oublions pas en outre qu’à cette époque, le père de Tintin était un homme accablé de travail, dessinant littéralement contre la montre pour plusieurs éditeurs différents. De plus, la technique utilisée pour cette besogne n’est pas des plus aisées : copier par transparence les traits noirs des originaux à l’encre de Chine sur du papier à dessin, au-dessus d’un bac lumière, n’est certainement pas un travail d’amateur. Il n’y avait que Hergé pour réussir ce tour de force : recréer ces 22 planches de trois bandes en un temps record.

Page 6 de l’album couleurs

Ces planches, ont-elles servi ?

Oui, les strips copiés furent publiés à partir du 1er septembre 1943 dans le quotidien bruxellois flamand Het Laatste Nieuws. Les dessins qui parurent dans ce journal ne peuvent être les originaux utilisés dans Le Soir en 1941, car ceux-ci n’existaient plus sous cette forme depuis fin 1942. Il ne fait aucun doute que Het Laatste Nieuws ait bien reçu d’Hergé la copie de sauvegarde de L’Étoile Mystérieuse. Et nous pouvons donc être certains que le créateur de Tintin était fier de cette seconde version, car il n’aurait jamais envoyé des strips de moindre qualité à un de ces éditeurs !

Publication réalisée à partir des textes de Marcel Wilmet, extraits du Catalogue PIASA pour la vente aux enchères du 18 septembre 2019

 

 

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