TINTIN : LES FAMEUX SOUS-VERRES… SANS VERRE !

Il s’agit d’un projet de Hergé pour la réalisation de 12 sous-verres à l’effigie de Tintin.

Abusivement qualifiés de “tirages aquarellés”, ils passent en vente publique de temps à autre.

Exemple de « sous verres » proposé dans un catalogue de vente aux enchères

Certains collectionneurs s’efforcent de les réunir, d’autres les négligent, croyant – à tort – avoir affaire à des travaux de studio, voire à des pièces contrefaites. Ces tirages ont pourtant été conçus en 1943, et furent réalisés dans l’immédiat après-guerre, c’est-à-dire durant la “haute époque” de l’œuvre de Hergé.

Petit retour en arrière. En 1942, Hergé fait la connaissance d’un certain Bernard F. Thiéry, qui lui suggère de se débarrasser sur lui de ses soucis commerciaux, afin de mieux se consacrer à ses créations. Le dessinateur est, à ce moment, sur le point de mettre les fameuses “Cartes Neige” sur le marché. Son œuvre se poursuit sans désemparer, et il ne manque pas de projets. Il accepte donc l’offre qui lui est faite et engage Thiéry comme agent exclusif. La première licence que celui-ci accordera (au nom d’Hergé) portera le numéro 49 TBF: il s’agit des célèbres Puzzles Dubreucq.

L’histoire des soi-disant “tirages aquarellés” mérite d’autant plus d’être contée qu’il devait s’agir d’objets commercialisés “en direct” par le dessinateur, et non d’une licence accordée à un tiers. En janvier 1943, Hergé expose à Thiéry son envie de créer et de diffuser des sous-verres à l’effigie de Tintin. L’agent ne se montre pas enthousiaste. En ces temps de restrictions, il devrait se procurer du verre et le faire façonner. Sans compter les problèmes d’emballage, de conditionnement et de transport d’objets aussi fragiles.

Après réflexion, Thiéry suggère plutôt à Hergé de réaliser une pochette de dix à douze dessins, imprimés au trait et mis en couleurs, soit à la main, soit aux pochoirs. Trouvant l’idée intéressante, Hergé songe d’abord à reprendre sous cette forme les dessins qu’il est occupé à réaliser pour les puzzles. Mais, faute de temps pour les mener à bien, les choses en resteront là. L’idée, pourtant, n’est pas abandonnée. A l’automne 1944, c’est-à-dire juste après l’interruption des 7 Boules de Cristal dans Le Soir (consécutive à la Libération de Bruxelles), Hergé met en chantier les douze dessins qu’il a imaginés pour « ses” sous-verres.

Des compositions uniformisées, présentant Tintin et Milou dans une attitude et un accoutrement caractéristiques, devant un fragment de paysage inscrit dans un carré. Chacun de ces dessins (qui annoncent à leur manière les chromos Voir et Savoir) illustre l’un des épisodes des aventures de Tintin.

Quels en sont les sujets ? Il demeure une incertitude à propos de trois d’entre eux, dont on n’a trouvé jusqu’ici nulle trace. On constate toutefois qu’à cette époque se trouvent en librairie huit épisodes en noir et blanc (de Tintin au Congo au Crabe aux Pinces d’Or) et deux en couleurs (L’Étoile Mystérieuse et Le Secret de la Licorne). D’autre part l’album concernant Le Trésor de Rackham le Rouge est en préparation, la prépublication dans Le Soir s’étant achevée un an plus tôt. Il est donc plus que probable que Hergé a illustré ces onze titres.

Restait dès lors à élaborer le dernier (ou le premier) des douze. Tintin au Pays des Soviets n’ayant plus été réédité depuis 1930, ne pouvait pas faire l’affaire. Voilà très certainement pourquoi l’on compte parmi les tirages mis en couleurs aux pochoirs une composition plus générique, où l’on trouve un Tintin “en civil” qui s’avance d’un pas décidé, flanqué de Milou, tous deux se détachant sur une représentation du globe terrestre. Tout un symbole !

Revenons à l’historique de ces images. En rendant visite à Hergé en octobre 1944, Thiéry voit les dessins terminés. Mais comme la sortie de quatre nouvelles séries de six cartes postales est prévue (pour une mise en place juste avant les fêtes), il engage Hergé à reporter ce projet à plus tard. Pas plus d’une nouveauté à la fois, dit-il. Un an se passe, que Thiéry met à profit pour mettre au point le système de coloriage artisanal qu’il avait proposé. L’impression au trait peut avoir lieu.

En septembre 1945 une petite équipe, réunie chez lui par Thiéry, opère la mise en couleurs des tirages. Pour certaines images, six passages suffisent, mais d’autres en nécessitent une dizaine. La technique est si aléatoire qu’on n’ose imaginer le déchet. Il avait été convenu avec Hergé qu’un autre partenaire, à choisir par Thiéry, mette sous verre les épreuves rescapées et les distribue sur le marché, via son propre réseau. Cela ne s’est pas fait. Hergé apprendra beaucoup plus tard que son agent a vendu à une usine bruxelloise quelque quatre mille de ces tirages, au prix de neuf francs pièce. Il s’apercevra alors que Thiéry a empoché la coquette somme résultant de cette transaction sans lui en parler… et sans lui en rendre compte(s)! Hergé découvrira avec effarement les écarts fréquents (et assez conséquents) de celui qu’il prenait pour son “homme de confiance”. Lettres au vitriol, interventions d’avocats, dépression, dénonciation d’accords… La fin était inéluctable. Exit TBF et ses licences !

Trois d’entre eux, qu’on suppose être Les Cigares du Pharaon, Le Lotus Bleu et Le Secret de la Licorne, ne sont jamais réapparus, à notre connaissance du moins. Qui nous renseignera sur leur sort ? Et qui nous dira comment ces prétendus “tirages aquarellés” sont revenus à la surface ? Et en quel nombre ? Tout renseignement à ce sujet sera reçu avec plaisir par Moulinsart. Comme le diraient les Dupondt, notre métier à nous est de tout savoir… sur Hergé.

Philippe GODDIN

Cette publication est la reprise intégrale d’un article de Philippe Goddin, paru dans le numéro 26, de la Revue des Amis de Hergé publiée en décembre 1997.

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